Apprendre le son vs le nom des lettres: des arguments scientifiques?


#1

Bonjour,
Dans ma classe, j’apprends le son des lettres à mes élèves de PS et MS. Nous travaillons actuellement sur les sons initiaux des prénoms de la classe. Les enfants sont très motivés par ces activités qu’ils reprennent volontiers en activités autonomes. J’ai communiqué à ce sujet auprès des parents en leur demandant de ne pas donner le nom des lettres (mais j’ai conscience que certains ne m’écouteront pas). Certains collègues restent dubitatif quant à cette façon de faire et continuent de faire apprendre coûte que coûte le nom des lettres à grand coup d’APC si besoin…
Existe-t-il des études à ce sujet ou est ce juste une question de bon sens? J’aimerais avoir des arguments scientifiques à opposer aux certitudes et habitudes des collègues.
Merci d’avance
Céline


#2

Selon moi il est surtout là question de bon sens.

L’argumentaire vient déjà des programmes de maternelle 2015, qui abondent dans le sens de la démarche bienveillante et autonome dont nous débattons dans ce forum. Il est explicitement demandé de travailler en phonologie. Fin GS, il est demander aux élèves de savoir :

  • Discriminer des sons (syllabes, sons-voyelles ; quelques sons-consonnes hors des consonnes occlusives).
  • Manipuler des syllabes.
  • Repérer des régularités dans la langue à l’oral en français (éventuellement dans une autre langue).

Il est vrai qu’il est aussi demandé aux élèves de :

  • Reconnaître les lettres de l’alphabet et connaître les correspondances entre les trois manières de les écrire : cursive, script, capitales d’imprimerie. Copier à l’aide d’un clavier

Mais cette compétence peut être travaillées une fois que les enfants ont bien compris l’intérêt des lettres pour coder des sons, et donc lire et écrire et gagner en autonomie. La motivation vient avant tout. Et si on veut chipoter, reconnaître les lettre ne signifie pas les nommer (ce que de toute façon ils finissent pas savoir faire quand ils s’y intéressent) !

Je complète le son des lettres avec les gestes associés par Borel-Maisonny. Ce travail régulier, que ce soit dans les prénoms ou les comprines, est très apprécié des élèves.

Entendre les sons dans le prénom des élèves.odt
Entendre les sons dans le nom des objets.odt

Persistons dans notre démarche. La pédagogie ne se laisser pas dictée par le regard de collègues, ou la visions des parents. Ni par de vagues habitudes ou préjugés. Chacun juge selon ses expériences de classe, au plus près des progrès des élèves.
Je suis curieux moi aussi de savoir s’il y a des recherches pédagogiques en ce sens. Mais vu l’état du financement de la recherche en France, j’en doute. Si il n’y a pas une boîte privée derrière, il n’y a plus grand chose qui se passe dans la recherche fondamentale… Regardez par exemple dans le domaine de la santé. Bref, bonne continuation.


#3

Céline Avarez parle des études effectuées par Stanislas Dehaene, récapitulées dans son livre “Apprendre à lire”. Il y est précisé, je crois, qu’il est important de connaitre le son des lettres.
Céline explique aussi dans les vidéos “une année pour tout changer” l’état des recherches, en particulier dans “pourquoi lire en maternelle?”. De ce que j’ai compris, lorsqu’un individu apprend à lire, son cerveau doit se réorganiser pour déplacer l’aire réservée jusqu’alors à la reconnaissance des visages pour y développer l’aire nécessaire à la lecture. Cette réorganisation nécessite une grande plasticité cérébrale; ce sera donc beaucoup plus facile pour de jeunes enfants de maternelle.


#4

bonsoir,
Dans ma classe j’enseigne aussi le son des lettres. Cependant, je sors d’une réunion avec les maitres du cp qui m’ont bien fait comprendre que les élèves devaient absolument connaitre le nom des lettres (je le fait en général après les sons mais l’année a été écourtée!!!). En Effet quand ils travaillent un son, ils voient toutes les graphies en même temps : j’entends JJJJJ je vois J ou G. Mes élèves disent je vois “JJJJ” ou je vois “gue” . Apparement se serait très gênant.


#5

C’est vrai que dans l’éducation nationale on est embêté car on doit faire apprendre le nom des lettres.
Alors que dans les écoles montessori ils ne le font pas et les enfants apprennent le nom des lettres tous seuls au bout d’un moment et cela ne pose aucun problème dans les ambiances 6/12 ans.
J’enseigne d’abord le son des lettres et on apprend le nom des lettres ensuite, quand tous les sons auront été vus. J’utilise aussi les Alphas. Quand les Alphas se transforment, ils se déguisent en lettres qui ont des noms et là je donne le nom des lettres. Cela marche très bien pour la mémorisation car c’est affectif.
Les enfants qui ne connaissent pas le nom des lettres en fin de grande section que se soit avec montessori ou pas, ce sont des enfants qui ont des difficultés de mémorisation quoi qu’il en soit, ils doivent aussi avoir du mal à reconnaître les chiffres. Alors s’acharner toute l’année à leur apprendre le nom des lettres ne sert à rien, car leur cerveau n’est pas prêt. Le nom d’une lettre ne signifie rien pour lui donc il ne le retient pas.
Comment travaillez-vous la correspondance entre les trois graphies capitale, scripte, cursive? Je n’ai pas trouvé d’activité très pertinente.


#6

Je suis bien d’accord avec ce que tu dis.
Pour travailler la correspondance j’ai l’impression que ça se fait un peu tout seul comme le dit @Celine. Les enfants pour qui j’avais introduit en 1er la cursive ont naturellement associé aux capitales qu’ils connaissaient (leur prénom, ceux de copains) et aux lettres scriptes. Je leur proposais juste de temps en temps avec des lettres mobiles de les poser sur les lettres rugueuses en même temps qu’un objet commençant par ce son (je n’ai pas retrouvé de photos ou il y a à la fois petits objets et lettres en correspondance)


je le travaille plutôt avec les GS également en début d’après-midi (tout petit groupe, l’avantage du triple niveau, les autres élèves dorment), je leur distribue tout simplement des lettres (scriptes, capitales ou cursives) et je demande qui a sssssss, llllll etc et s’ils ne savent pas un camarade le leur dit, ils apprennent vite entre eux, il y a beaucoup d’émulation. Et puis dès qu’ils rentrent dans la lecture ça se fait vraiment naturellement, ou alors ils viennent tout simplement demander et ils retiennent vite


#7

Je trouve ça vraiment sympa et assez satisfaisant. Vous avez fait du bon boulot.


#8

Bonjour, j’avais commencé à apprendre les lettres à mon enfant avant que ma mère (qui a été enseignante une seule année dans les années 70 avant de garder ses cinq enfants à la maison avant l’entrée au CP) me conseille de lui apprendre leur son. J’ai alors décidé de lui enseigner les deux : le nom des lettres et le son des phonèmes. Je lui ai expliqué que les lettres ont un nom (car je ne pouvais pas revenir en arrière) et qu’elles pouvaient chanter un chant seules ou se marier avec d’autres lettres pour chanter une autre chanson.
Pour lui, savoir le nom des lettres lui donne envie de les écrire donc je ne vois pas ça négativement.


#9

Bonjour,
je suis enseignante en GS-CP, et je ne fonctionne pas comme vos collègues de CP. Lorsque je travaille un son en début d’année, je me contente des graphies simples. Par exemple, pour le son JJJ, je commence par la graphie “j”, et le “g” sera vu plus tard. Cela facilite le décodage pour les enfants qui ont des difficultés de mémorisation. Et j’insiste bien auprès des parents pour faire dire uniquement le son des lettres lorsqu’ils font les devoirs le soir, car j’ai régulièrement des élèves qui reviennent de la maison en disant: “J et A, ça fait “ja”” (entendre “ji” et “a”, ça fait “ja”). Ça marche pour les syllabes, mais dès qu’il faut lire un mot, ça bloque.
Pour ma part, je dis les 2 dès la GS: le nom des lettres et le son qu’elles font. Et je trouve que ça fonctionne plutôt bien.


#10

Bonjour,
Voici ce que j’ai trouvé au niveau du nom des lettres dans un dossier du Ministère de l’EN - pédagogie et manuels pour l’apprentissage de la lecture :
"- L’insistance sur le nom des lettres. Les noms des lettres (R se dit ‘aire’), qui sont appris dès la maternelle, ne sont pas forcément reliés à leur prononciation (R se prononce /r/). L’insistance sur le nom des lettres, et non sur leur prononciation, risque de semer la confusion chez l’enfant : comment peut-il comprendre que R+O fait le son /ro/ et non pas « aire-o » ou « héros » ?"

  • La récitation de l’alphabet. Les lettres ne sont pas les chiffres et connaître leur ordre alphabétique ne joue aucun rôle dans la lecture (même s’il sera utile plus tard pour rechercher des mots dans le dictionnaire). Dans l’exemple ci-dessous, quel intérêt de consacrer la quatrième leçon de lecture à « écrire les lettres qui manquent dans l’alphabet ».
    En résumé, enseignante de CP, je n’apprends jamais le nom des lettres à mes élèves, nous travaillons les sons autant à l’oral qu’à l’écrit (entre autres apprentissage de l’écriture manuscrite). Dans mon école, 3 classes de CP utilisant la méthode syllabique, nous avons fait passer le message aux enseignants de maternelle. Connaître le nom des lettres dessert l’apprentissage de la lecture aussi bien en maternelle qu’au niveau CP. L’alphabet ne devrait être abordé que pour le travail de recherche rapide dans le dictionnaire, qui est surtout au programme du CE1.
    Les collègues de CP qui réclament le nom des lettres doivent encore s’appuyer sur des méthodes de lecture mixte et n’ont sans doute pas lu Dehaene.
    Bravo pour votre travail!

#11

Bonjour,
as tu la référence exacte de ce dossier de l’EN? Ca m’interesse beaucoup.
Je n’ai pas réussi à rester active sur le post que j’ai pourtant moi même crée mais je prépare mon entretien de carrière et la vie avec 4 enfants laisse peu de temps mais je suivais dans l’ombre :wink:
Merci à tous de vos réponses.


#12

Bonjour,
Voici le dossier. Dis-moi si tu peux l’ouvrir.
Tout n’est pas exact dans ce dossier, surtout concernant la collection des livres de lecture proposés pour le CP qui est très restreinte. On ne parle pas entre autres de Léo et Léa chez Belin, de Salto de la Librairie des écoles… mais je m’éloigne du sujet. :wink:
MANUELS_CSEN_VDEF.pdf (1,2 Mo)


#13

Merci beaucoup, j’ai pu l’ouvrir sans problème. Je le trouve très intéressant ce dossier!


#14

Merci beaucoup pour vos réponses. Je saurai sur quoi m’appuyer pour la prochaine réunion.


#15

Bonjour,
Je trouve en effet très pertinent de s’appuyer sur les expérimentations scientifiques pour étayer les propos que l’on avance. Après quelques heures d’exploration sur le web, voici quelques articles. Je n’ai malheureusement pas trouvé d’étude dans le sens mais par contre, plusieurs chercheurs viennent appuyer la théorie inverse, c’est-à-dire que la connaissance du nom des lettres, au même titre que le son des lettres, est prédictrice d’une meilleure entrée en lecture ou qu’elle aurait un rôle dans l’acquisition de l’écriture en maternelle…etc. On en trouve beaucoup de plusieurs auteurs différents. Qu’en pensez-vous ? Vos avis m’intéressent. Peut-être existe-t-il des études dont je n’ai pas connaissance. Merci.

Foulin, J. N. (2007). La connaissance des lettres chez les prélecteurs: aspects
pronostiques, fonctionnels et diagnostiques. Psychologie française.

Foulin, J. N., & Pacton, S. (2006). La connaissance du nom des lettres : précurseur de
l’apprentissage du son des lettres. Education et Francophonie, 34(2), 28-55.

https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2015-3-page-35.htm

https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2008_num_108_2_30969

Foulin, J. N. (2007). La connaissance des lettres chez les prélecteurs: aspects
pronostiques, fonctionnels et diagnostiques. Psychologie française.

Foulin, J. N., & Pacton, S. (2006). La connaissance du nom des lettres : précurseur de
l’apprentissage du son des lettres. Education et Francophonie, 34(2), 28-55.