Bonjour,
Je m’appelle Anne-laure, j’ai 31 ans et je vis en Bretagne dans le Morbihan où j’exerce, pour l’instant, le métier d’architecte urbaniste depuis 8 ans et depuis 3 ans à mon compte. Un métier que j’aime et qui m’anime. Mais ces derniers temps un autre projet à pris le pas sur tous les autres : celui de devenir professeur des écoles. Ce n’est pas une lubie, c’est un projet qui s’est construit petit à petit en accompagnant mon premier enfant vers l’école. Je me permets de développer ce parcours, cette tranche de vie pour expliquer mon désir de reconversion.
Enfant j’ai aimé l’école, pas tout, mais dans l’ensemble j’ai eu une scolarité heureuse. Aussi parce que j’ai eu la chance d’avoir des parents présents et à l’écoute qui ont su trouver le bonne posture pour que nous développions, sans aucune pression et dans un contexte de bienveillance, nos hobbies que nous n’avions pas le loisir d’exprimer à l’école. Plus que tout j’ai aimé apprendre. J’ai poursuivi des études longues passionnantes. donc non l’école n’a pas tarit cet élan naturel pour l’apprentissage.
Alors quand arriva le temps d’accompagner ma première fille à l’école à ses 3 ans, j’y suis allée confiante, sans réel questionnement ni doute. Avec le recul c’est une étape qui ne me semblait même pas « questionnable ». Pour moi l’école était un passage obligé.
Et puis, Olive, ma fille, ne s’y ai pas vraiment plu, à l’école… Et accompagner quotidiennement son enfant en larmes pendant un an, en lui assurant qu’elle va passer une bonne journée, sans y croire vraiment, forcément ça questionne.
Je commence donc à m’informer, à porter un regard nouveau sur l’école. Sans me braquer, ni imputer ce mal être aux méthodes de l’institutrice. J’ai beaucoup de respect pour son travail et son engagement. Et puis je suis d’un naturel optimiste et prend les choses avec philosophie. Patience, ma fille est peut être trop jeune pour l’école, les choses finiront par s’améliorer. Les premières lectures m’emportent, je me pique d’une passion, comme certainement beaucoup des jeunes parents, pour les questions d’éducations, de la psychologie de l’enfant et puis de la transmission, comment l’enfant apprend-il ?
Je découvre les travaux de Céline Alvarez. Merveilleuse rencontre !
Je dévore les articles, les vidéos. Je me dis que les choses ne pourront que s’améliorer. Que L’EN, dont je découvre en en même temps le fonctionnement traditionnel, ne pourra rester insensible à cette ambassadrice de choc ! Je crois en cette méthode qui vise à partager ses connaissances et à accompagner les acteurs de l’apprentissage, les premières lignes : les professeurs. J’adhère totalement à ce projet … comme il est de bon ton de dire en ces périodes électorales… Et puis surtout je suis persuadée par cette pédagogie si efficace qui s’appuie à la fois sur la force de l’exemple et sur la mise en lumière d’un corpus théorique de figures iconiques passées et présentes de la pédagogie de l’enfant (Maria Montessori en tête, dont les écrits sont mis en parallèle avec les découvertes récentes des chercheurs des neurosciences). Je suis conquise par l’art de la synthèse, de la mise en perspective d’acquis anciens et de connaissances nouvelles pour construire une méthode physiologique et qui plus est s’adapte aux particularités de la langue française.
Hasard du calendrier, après une première année d’école compliquée pour ma petite fille, ma petite sœur me prête le documentaire « être et devenir » de Clara Bellar qui aborde l’instruction en famille. Et là c’est un coup de tonnerre, un autre horizon s’ouvre. Je découvre que l’instruction en famille n’est pas que l’école à la maison, que c’est une autre manière d’entrevoir les choses.
Pourquoi ne pas adopter ce mode de vie ? Car oui plus qu’un simple choix de pédagogie il s’agit là d’un réel choix de vie.
Mais attachée à l’école de la république qui, à mon sens, vise encore à offrir les mêmes chances pour tous, j’ai du mal à accepter l’idée de retirer ma fille du système. Je redoute l’idée de mettre mes enfants en marge, mais aussi de participer à cette école à deux vitesses, de faire partie d’une élite déconnectée des valeurs de la république. Au delà du fait que l’entre soi me fait peur, j’ai du mal à accepter l’idée que je peux faire ce choix car je fais partie d’une petite frange de la population qui en a les capacités financières et culturelles.
Arrive alors la rentrée de moyenne section, Olive retourne à l’école. Nous constatons avec bonheur avec son papa qu’elle est plus sereine, ouverte aux autres. S’agissait-il uniquement de l’âge précoce (Olive étant de début d’année), d’un manque de maturité ? Les choses semblent s’améliorer. Mais ma curiosité pour les questions liées à l’apprentissage ne s’arrête pas là pour autant. Je découvre les auteurs partisans d’une société sans écoles. Ivan Illich une société sans école, de John Holt les apprentissages autonomes et apprendre sans l’école, et de Peter Gray libre pour apprendre.
À ce moment, jeune parents nous côtoyons des personnes également en questionnement sur l’école. Nous organisons un groupe de discussions autour de l’unschooling.
Et puis ces réflexions rencontrent notre vie de famille. Olive, de nouveau, ne veut plus aller à l’école. À posteriori je me demande s’il s’agissait d’un désir personnel ou si, baignant dans nos discussions, elle n’aurait pas plutôt assimiler le désir de ses parents d’une autre école que la sienne ?
Je me sens prise en tenaille entre des convictions qui sont entrain de se forger (qu’une autre école est possible) d’une part et de mon attachement à l’école républicaine, libre et gratuite pour tous d’autre part. Et aussi, plus prosaïquement, je fais face à l’organisation professionnelle et familiale qu’un tel choix réclame.
Je suis architecte urbaniste, un métier qui m’anime et qui me prend beaucoup de temps. Mon mari est dessinateur et travaille à mi temps. De fait cette possibilité de l’instruction en famille questionne notre organisation, nos choix de vie. Je vois cette expérience, comme une expérience familiale, l’opportunité de revoir nos schémas de valeurs.
Je l’imagine aussi comme une expérience collective. Comme le dis une expression africaine, il faut tout un village pour élever un enfant. Je ne veux pas faire cela de manière isolée. Je crains l’entre soi pour mon bien être et celui de mes enfants. Je dépasse mes préjugés sur l’entre soi que ce choix suppose et la marginalité dans laquelle il risque de nous inscrire.
Je me renseigne sur les possibilités de vivre cette expérience à plusieurs. Mais dans notre groupe de réflexions, nous sommes les seuls à en être à la mise en pratique imminente. Et les autres groupes qui existent sont trop éloignés de notre lieu de vie. Mais je ne trouve pas la force de forcer ma fille à aller à l’école alors que je suis entrain de formuler un autre possible pour mes enfants. Tant pis l’exercice sera pour l’instant solitaire.
Donc nous répondons favorablement à la demande de notre fille et nous nous organisons avec mon mari pour pouvoir partager notre temps entre notre travail et nos enfants.
L’expérience à duré deux mois. Mais aussi courte fut-elle, elle nous a fait grandir.
Olive a rapidement souffert de la solitude, de l’éloignement de ses camarades de sa maîtresse mais du lieu aussi que sont les murs de l’école. Cet éloignement a révélé un attachement très fort à toutes ses figures qui construisent son quotidien.
De notre côté nous avons mesuré l’engagement total que réclame ce choix. Les contraintes qu’il révèle aujourd’hui face à une société uniquement tournée autour de l’école traditionnelle. La complexité par exemple de trouver des lieux qui accueillent parents et enfants et des activités accessibles lors du temps normal scolaire. Nous avons eu du mal à supporter l’isolement.
Face à notre incapacité à y faire face nous avons préféré donner un terme à cette aventure plutôt que de persévérer. Cette expérience n’est pas pour autant un abandon ni le rejet de cette possibilité qu’est l’unschooling. J’y vois des limites - surtout inhérentes à l’organisation générale de notre société - mais j’y vois aussi beaucoup d’avantages dont l’EN pourrait s’inspirer.
Face à ce constat provisoire nous avons donc repris le chemin de l’école, Olive plus motivée que jamais.
Notre organisation professionnelle et familiale étant rodée au bout de ses quelques semaines cela nous a permis de choisir une solution intermédiaire pour Olive : y aller à mi temps, uniquement le matin. Et cette organisation nous convient parfaitement. Même si nous savons qu’elle est temporaire. À ses 6 ans, âge de l’instruction obligatoire, nous devrons faire à nouveau le choix de l’école ou non. Mais chaque chose en son temps…
Cette expérience personnelle, croisée à la découverte de ce monde qu’est la pédagogie « enfantine », à fondé mon désir de reconversion.
Je l’aborde sereinement. Avec des questionnements, un discours certes critique mais bienveillant sur cette institution qu’est l’Education Nationale. J’aimerais participer à ce mouvement de transformation qui souffle et faire partie de ce projet collectif.
Et malgré toutes les critiques qu’elle cristallise en ce moment, l’EN me semble le meilleur endroit, le meilleur cadre pour exercer. Car derrière un projet, un programme commun apparent, elle abrite mille personnalités et mille manières d’enseigner. Un paradoxe dont j’aimerai faire partie.
J’aimerais apporter un étayage bienveillant aux enfants pour révéler leur diversité et leur singularité. Participer à construire leur confiance en eux et en l’autre pour pouvoir vivre sereinement et en harmonie dans notre monde merveilleusement métissé.
En tant qu’architecte j’ai toujours voulu que le dialogue, que la transmission soit au cœur de chaque projet. Je pense qu’il y a une continuité d’esprit entre ces deux métiers. C’est dans la discussion, l’écoute attentive que les projets naissent et se construisent.
Donc ce n’est pas l’épuisement, ni un ras-le-bol pour mon métier qui me poussent à me reconvertir. Non il ne s’agit pas de cela.
C’est au contraire une pulsion positive qui m’entraîne vers ce choix. Ma curiosité, mon élan, ma motivation se sont déplacés vers ce métier. Je veux donc consacrer cette année à préparer le CRPE.
C’est une nouvelle page dans ma vie professionnelle. J’ai bien conscience que c’est un métier qui s’apprend et qui demande maturité et expérience. C’est aussi je pense un métier qui demande un engagement sociétale conscient dans un monde en profonde mutation. J’espère pouvoir, à travers les discussions de ce forum et à travers des rencontres que j’aimerai organiser, continuer à nourrir ma curiosité et mon enthousiasme pour ce métier.
Au plaisir de vous lire
Anne-Laure