Bonjour,
Merci d’avance à ceux qui prendront le temps de me lire et éventuellement de me répondre malgré la longueur.
Je viens de terminer un stage de 6 semaines dans une petite crèche et ce que j’ai vu et entendu me perturbe. Le choc entre la théorie et la pratique a été très violent. Est-ce lié à ma personnalité ou à cet environnement ?
Je suis souriante, bienveillante et empathique naturellement et je suis aussi très heureuse, ça aide peut-être. Avant de lire Céline, Catherine Gueguen, Isabelle Fillozat, Maria Montessori ou Arnaud Deroo éducateur de jeunes enfants qui prône la bien-traitance en crèche, dont les ouvrages m’ont transportée de joie, j’appelais ça de la gentillesse. Ce tempérament m’a toujours permis d’avoir un excellent relationnel avec mes employeurs, mes collègues et mes clients mais je me demande si dans le secteur de la petite enfance ce n’est pas un handicap.
Je suis donc en recherche de conseils parce que je suis complètement perdue. Enseignants de TPS/PS, comment faites-vous avec les 2/3 ans sachant qu’en crèche la règle est de 1 adulte pour 8 enfants ? J’imagine que comparé à vous c’est le rêve.
Avant je trouvais que l’école à 2 ans c’était trop tôt mais j’en suis à me demander si ce n’est pas mieux que la crèche.
J’ai bien compris l’importance de l’autonomie dans le développement de l’enfant mais je pose la question concernant les crèches donc l’autonomie avant 3 ans.
Un enfant de 1 an ce n’est pas un enfant de 2 ans qui n’est pas un enfant de 3 ans qui n’est pas un enfant de 4 ans qui ne sera pas un adulte avant bien longtemps.
L’autonomie est sur les lèvres de tous les professionnels et dans tous les projets d’établissement. Est-ce pour le bien de l’enfant ou pour le confort des professionnels ?
J’avais cru comprendre que l’autonomie venait assez naturellement dans un environnement suffisamment bon et j’ai pu le constater avec mes propres enfants qui sont aujourd’hui adultes.
Il faut qu’ils soient autonomes pour manger et s’habiller je suis d’accord et quand ils sont prêts ils le font à condition qu’on les laisse faire. Mais jusqu’à quel point faut-il l’imposer et pourquoi s’arrêter là ? Quand les petits de 2 ans veulent ranger leur chaise après le repas, ils sont poussés dehors et empêchés de le faire, c’est pourtant bien de l’autonomie. Quand ils veulent nettoyer ce qu’ils ont renversé avec leur serviette ils se font gronder et on leur dit que la table sera nettoyée plus tard, c’est pourtant bien de l’autonomie.
J’ai vu un petit de 2.5 ans un peu rêveur qui sait s’habiller seul mais qui est trop distrait pour le faire. Il préfère regarder ce qui se passe autour de lui et s’évader dans sa tête, c’est un rêveur. Je pense aussi qu’il aime bien qu’on s’occupe de lui et en crèche il n’en n’a pas souvent l’occasion et comme il est très grand en taille on a tendance à le traiter comme un grand. Un jour, les professionnelles, dont la directrice qui est éducatrice de jeunes enfants, ont décidé qu’il devait s’habiller tout seul, avant on lui mettait le début de la chaussette et il faisait tout le reste même si ça lui prenait beaucoup de temps. Ce jour-là, il est resté assis plus d’une heure à ne pouvoir rien faire tant qu’il ne s’était pas habillé. Il a donc rêvassé pendant une heure et il s’est décidé à le faire à l’heure du goûter parce que sinon il ne pouvait pas aller goûter et cette menace lui faisait visiblement peur.
Quelle est la leçon ? Qu’est-ce que lui apporte l’autonomie dans ces conditions ? Faut-il forcer l’autonomie ou faut-il l’accompagner ? Quand Maria Montessori disait « Aide-moi à faire seul. » que voulait-elle dire ? Aider veut-il dire forcer ?
Définition Larousse :
Forcer : Contraindre quelqu’un, l’obliger à faire quelque chose
Aider : Apporter son concours à quelqu’un, joindre ses efforts aux siens dans ce qu’il fait ; lui être utile, faciliter son action
Ces mêmes professionnelles m’ont expliquées que les enfants devaient apprendre à se gérer seuls et apprendre aussi à gérer les conflits c’est pour cela qu’elles n’interviennent pas tant que ce n’est pas nécessaire c’est-à-dire tant qu’en enfant ne hurle pas parce qu’il a été piétiné, mordu, tapé, poussé ou autre.
Comment se gérer seul et surtout gérer les conflits quand on a entre 12 mois et 3 ans et aucune expérience de la vie dans un univers aussi hostile que la collectivité avec 20 autres enfants ? Ne peut-on pas intervenir avant que cela ne dégénèrent pour les aider à gérer la situation ?
Comment se développent des enfants de cet âge livrés à eux-mêmes ? Que répondre à une professionnelle qui vous donne comme argument que dans certaines tribus africaines les enfants sont livrés à eux-mêmes très tôt avec juste une tante pour les surveiller ?
Les adultes ne les observent pas. Quand elles ne sont pas dans l’action et qu’elles pourraient enfin se poser au sol pour les observer et les accompagner, elles boivent le café, mangent la galette des rois ou discutent entre elles pendant que les enfants tournent, cherchent une occupation, se disputent, se poussent et se mordent. Comme elles n’ont pas observé la scène, quand elles interviennent elles ne peuvent pas comprendre ce qui s’est passé et elles mettent à réfléchir celui qui a mordu en expliquant à l’autre qu’il doit se défendre et en lui montrant comment pousser son petit camarade. C’est ça l’autonomie, apprendre à pousser tout seul comme un grand ?
Maria Montessori qui prônait l’autonomie disait que le travail du maitre est d’observer et d’encourager les comportements constructifs et de stopper les comportements destructeurs.
Sans observation comment savoir ce qui est constructif ou pas et comment savoir comment a démarré un “conflit” pour bien expliquer comment le résoudre ? J’ai remarqué que bien souvent ce n’est pas de l’enfant qui a mordu ou poussé qu’a commencé le “conflit”. Il n’a fait que défendre son territoire ou ce qu’il avait dans ses mains mais c’est lui qui a mordu donc c’est lui qui est mis à réfléchir.
Au fait, ça réfléchi à quoi un enfant de 2 ans ? A chaque fois que j’ai vu un enfant être mis à l’écart pour réfléchir je me suis posée la question. Soit il hurlait soit il était indifférent mais à aucun moment je n’ai eu l’impression qu’il réfléchissait. C’est simplement la version moderne de la punition. L’expression mettre à réfléchir ou à l’écart est plus politiquement correcte que la bonne vieille punition mais la finalité est identique.
Vous l’aurez compris je suis très déstabilisée. Durant mon stage dans cet établissement qui a pourtant les moyens humains nécessaires pour plutôt bien accompagner les enfants j’ai vu beaucoup de situations qui peuvent sembler anodines mais que j’ai trouvées très dures et très violentes pour des enfants de cet âge surtout quand elles se répètent tous les jours.
J’ai fait l’erreur de m’intéresser dès le début de ma formation CAP petite enfance au développement psychologique et affectif de l’enfant et de lire de nombreux livres sur le sujet. J’ai découvert le travail de Céline Alvarez, Maria Montessori, Catherine Gueguen et Isabelle Fillozat. J’ai élevé mes enfants par instinct avec toutes ces valeurs à l’esprit et je cherchais à savoir comment je pourrais les mettre en pratique dans un contexte professionnel, sur quels arguments je pourrais m’appuyer.
Pour ces professionnelles, j’ai trop lu, j’ai trop de théories, je suis trop gentille, trop sensible, je me contrôle trop, je veux être trop parfaite. Elles m’ont bien fait comprendre que je ne suis pas faite pour ce métier. Depuis des années qu’elles travaillent elles savent ce qu’il faut faire pour que le groupe fonctionne et ce n’est pas dans les livres que ça se trouve mais avec l’expérience. Quand j’ai tenté d’expliquer que je m’intéressais aux neurosciences, ça a été très mal pris puisqu’elles avaient fait une formation sur le sujet et que selon elles il y a à prendre et à laisser et que rien ne vaut l’expérience.
Je suis en partie d’accord, cependant dans la mesure où les découvertes récentes nous expliquent comment faire pour qu’un enfant se développe au mieux pourquoi continuer une éducation par le rapport de force et l’autoritarisme surtout à cet âge où ça n’a aucun intérêt pédagogique et qu’au contraire ça ne fait que nuire au développement du cerveau des enfants. Ils obéissent à court terme mais quels bénéfices pour eux sur le long terme? Si des enseignants arrivent à « tenir » à peu près une classe de plus de 20 enfants avec bienveillance et empathie, et cela semble être le cas en lisant vos témoignages sur ce site, pourquoi ne pourrait-on pas gérer un groupe en crèche avec un adulte pour 8 enfants ?
Je comprends qu’on ne puisse pas faire aussi bien qu’on le voudrait comme dans toute profession. Je sais qu’il y aura des jours avec et des jours sans, surtout le vendredi mais c’est pareil avec l’ancienne méthode. Je sais que dans mon travail je vais devoir faire des concessions mais pourquoi expliquer à des futurs professionnels qu’on ne peut pas faire autrement que ce qui se fait depuis toujours et qu’il ne faut pas être trop gentille avec les enfants ni vouloir être parfaite. Je sais qu’on ne peut pas être parfait mais quel mal y a t’il à essayer de tendre vers quelque chose qui s’en approche ?
Je ne vois pas pourquoi je serai obligée de mettre à réfléchir, de crier, de tirer les enfants par le bras pour qu’ils me suivent, les moucher sans leur demander s’ils le veulent bien ou ne pas les moucher du tout, les empêcher de ranger leur chaise après manger, leur dire merci, s’il te plait, de rien, les aider à s’habiller quand de temps en temps ils n’en n’ont vraiment pas envie, quand ils mangent leur remplir la bouche sans leur laisser le temps de souffler entre chaque cuillerée, ne pas les aider à manger sous prétexte d’autonomie et vider leur assiette alors qu’ils ont un peu trop rêver au lieu de manger, ne pas critiquer leurs parents, ne pas boire le café alors qu’ils se réveillent et qu’ils ont besoin de genoux disponibles et d’attention pour se poser 2 minutes le temps de finir de se réveiller, les rassurer quand ils pleurent ce qui le plus souvent ne dure jamais longtemps alors que si on les laisse pleurer ça peut durer très longtemps, leur proposer tous les jours le même jeu en nombre insuffisant, etc… Sans parler de toutes les petites maladresses faites par ignorance ou par habitude, et tout ça avec des tout petits de moins de 3 ans qui ne sont plus vraiment des bébés puisqu’ils marchent mais pas encore des enfants non plus, ils sont entre les deux et j’ai l’impression que cet âge déstabilise les adultes qui voudraient déjà qu’ils se comportent comme des grands.
Peut-on devenir professionnel de la petite enfance en respectant les enfants ? Peut-on individuellement avoir une démarche « bien-traitante » quand le reste de l’équipe n’est pas dans cette démarche ? Est-ce que ça peut perturber le fonctionnement d’une équipe ?
Dois-je renoncer ou me dire que même si c’est très dur pour moi de voir, cautionner et probablement adopter certains comportements, petit à petit je peux faire ma part de colibri et faire changer un tout petit peu les choses ? Comment fait-on pour être différent sans se laisser happer par le système ?
Je viens de finir mon premier stage et je n’ai pas su ou plutôt pas voulu exprimer quoi que ce soit sauf que je trouvais l’univers de la crèche très violent ce à quoi il m’a été répondu que j’étais trop sensible pour travailler dans ce secteur. La sensibilité et l’empathie sont-elles un handicap ? Le problème ce n’est pas que je sois sensible, je suis révoltée mais pas affectée. Je ne peux pas m’empêcher de me mettre à la place des enfants et d’imaginer ce qu’ils peuvent ressentir, j’avais cru comprendre que ça s’appelait l’empathie et que c’était plutôt une bonne chose d’autant que je n’ai pas à me forcer, c’est dans ma nature.
Dans la mesure où je suis en formation et de fait une future débutante, comment confronter toutes ces belles idées à l’expérience des professionnelles que je vais rencontrer sans les heurter et sans remettre en cause leur professionnalisme dont je dois malgré tout m’imprégner ?
De plus en plus d’enfants vont grandir dans les crèches. Doivent-elles continuer à faire de la garde ou ont-elles un rôle éducatif à tenir ? La société et l’école ne se porteraient-elles pas mieux si avant 3 ans les enfants étaient mieux accompagnés ?
Pourquoi néglige-t’on à ce point la toute petite enfance, pourtant si passionnante, y compris beaucoup de parents qui sont pressés que leurs enfants passent le cap des 3 ans ?
J’ai une petite théorie. Avant trois ans, les enfants ne parlent pas, ne se plaignent pas et s’adaptent très facilement à tout même au pire. On peut presque tout leur faire, 5 minutes après avoir pleuré voire hurler ils jouent et rient à nouveau ce qui peut laisser penser qu’après tout ce n’est pas bien grave d’où cette notion de caprices et de colères et cette statistique qui dit que c’est à l’âge de deux ans que sont distribuées le plus grand nombre de fessées. Mais qu’en garderont-ils pour le reste de leur vie ? Quels élèves seront-ils ? Quels adultes deviendront-ils ?
Pourquoi les parents sont-ils si peu exigeant avec la crèche alors qu’ils le sont tant avec l’école ?
Parce que quand ils rentrent de la crèche les enfants ne racontent pas combien de temps ils ont pleuré, combien de fois ils ont été tapé, poussé, dérangé par leurs petits camarades, qu’ils ont été mis à réfléchir, combien de temps ils ont gardé une couche souillée, qu’ils n’ont pas eu assez de jeux à leur disposition et qu’ils ont beaucoup tourné en rond parce qu’ils s’ennuient et cet ennuie-là n’est pas constructif, qu’ils n’ont pas assez mangé faute de temps ou qu’on les a gavé pour qu’ils mangent plus vite ou pire qu’ils ont entendu porter des jugements négatifs sur leurs parents.
Ils sont trop petits pour exprimer tout ça et les parents ne cherchent pas trop à savoir dans la mesure où les professionnelles leur disent que tout c’est bien passé, qu’il ou elle a fait telle ou telle activité, qu’il a bien dormi ou pas, qu’il a bien mangé ou pas. Elles ne disent jamais tout ce que je viens de citer plus haut excepté les morsures parce que ça laisse des traces donc elles sont bien obligées d’en parler. Je crains que les parents n’aient pas vraiment envie de l’entendre parce qu’ils faut bien qu’ils travaillent et que quelqu’un leur garde leur petit et après tout, ce qui se passe avant 3 ans ce n’est pas bien grave, ils sont tellement difficiles à cet âge et ça se rattrapera plus tard quand ils pourront enfin parler avec eux comme avec des adultes. Pourtant, s’ils observaient un peu quand ils viennent à la crèche ils pourraient s’interroger et demander par exemple pourquoi ce petit qui rampe est au milieu des grands qui courent ou pourquoi tel autre pleure tout seul dans son coin ?
Les parents ont le droit de ne pas savoir comment faire avec leurs enfants, parce que c’est vraiment difficile à cet âge, ils apprennent petit à petit, par contre, je pense que les professionnels eux n’ont pas ce droit là justement parce que ce sont des professionnels qui en théorie ont appris et sont payés pour faire un travail et le faire le mieux possible.
Je vous remercie d’avoir consacré un peu de temps à la lecture de ce post un peu long et éventuellement de votre retour. Vous aurez compris que je suis très inquiète quant à la façon dont est gérée en France la question des 0/3 ans.
Belle journée
Nadia