Comment être bienveillants sans donner de bons points ?


#1

Bonjour je lance un nouveau fil de discussion avec un titre un brin provocant pour réfléchir en commun à une question qui me turlupine en ce temps de préparation à la rentrée scolaire.
En effet je m’interroge depuis que j’ai lu (récemment) le livre de Céline Alvarez sur un des concepts importants qu’elle y défend : celui de motivation intrinsèque versus motivation extrinsèque - désir d’apprendre relié à un système de récompense interne versus système de récompense externe (bons points , gratifications diverses, félicitations…). Céline comme vous le savez défend le principe de motivation intrinsèque, beaucoup plus efficace.
Je me demande s’il n’y a pas un apparent paradoxe à vouloir promouvoir la motivation endogène (intrinsèque donc) de l’enfant dans un cadre de bienveillance, tout en se refusant à valoriser ses réussites, en se refusant le “c’est bien”, comme l’explique Céline pages 366 à 373, et en renvoyant au plaisir de l’enfant. Je cite le livre : "[les enfants “scolaires”] attendaient et recherchaient la validation extérieure le “c’est bien”. Je les renvoyais alors à leur propre jugement : “et toi est-ce que tu es content de toi?” Plus loin elle appelle le “c’est bien” écrit en rouge sur le travail d’un enfant par une de ses collègues, “l’arme du crime”.
Je ne demande pas une réponse sur les arguments scientifiques poussant à valoriser la motivation intrinsèque, qui sont limpides dans le bouquin, mais plutôt à vous demander quels sont les gestes professionnels que vous utilisez au jour le jour, comment vous faites pour corriger les écrits, pour valider des exercices (quand il n’y a pas d’autocorrection) sans donner d’appréciations positives ou négatives…C’est bien notre métier de valoriser le travail des élèves , au sens propre du terme - construire des échelles de valeur - pour qu’ils comprennent ce qu’est un travail réussi, ou moins réussi. non ?


Encourager sans évaluation ni jugement
#3

#4

#5

Bonjour @Tristram,

Pour moi, encourager et valoriser, c’est mettre en avant le chemin que l’enfant a lui même parcouru pour acquérir un nouvel apprentissage et c’est l’aider à acquérir des automatismes d’autoévaluation qui lui permettront d’être autonome. C’est à dire lui parler de son attitude, des actes qu’il a posés tout seul pour parvenir à un état de connaissances ou de compétences qu’il n’avait pas jusqu’alors. Et je crois que c’est possible sans jugement de valeur ou sans motivation extrinsèque. D’où l’importance pour nous enseignants, d’observer d’où l’enfant part et où il va. Lorsque j’avais des CM, voilà comment je procédais dans plusieurs activités :

  • Après un temps de présentation et familiarisation, l’atelier poésie fonctionnait en autonomie complète avec un libre choix de son texte parmi un corpus fourni, organisé par thème et degré de complexité. "Je vois qu’après une longue période où tu choisissais des poésies courtes, avec des mots courants, tu es capable aujourd’hui de mémoriser et oraliser un texte bien plus long/avec des mots complexes…"
    Au niveau des compétences exécutives : “Avant tu avais besoin de moi/d’un copain pour organiser ta présentation orale (se repérer sur le calendrier collectif d’inscription, s’inscrire, le reporter sur son propre agenda), maintenant tu peux le faire seul, tes efforts te permettent d’être plus autonome”.

  • En production d’écrits : après avoir dégagé en petit groupe une liste de critères correspondant au type de texte que l’enfant souhaitait améliorer, je soulignais les efforts réalisés : “Au début on ne comprenait pas ce qui se passait/le temps des verbes ne convenait pas…, maintenant tu es capable d’écrire un texte en évitant les répétitions, en choisissant un temps cohérent, on comprend mieux l’histoire…”.

  • Parallèlement, ils avaient un plan de travail classique, rien de nouveau. Lorsque je relevais une difficulté récurrente, je faisais d’abord remarquer ce qui était réussi avant de pointer la difficulté, ceci afin de permettre à l’enfant de prendre le réflexe de s’auto évaluer (quelques divisions incorrectes parmi une série réussie…).

Je trouve qu’en prenant l’habitude de décrire les actes de l’enfant (hé oui je suis aussi en chemin :grinning:) je parviens de mieux en mieux à contourner l’évaluation de valeur (c’est bien, c’est beau…). Et cela aide considérablement l’enfant à prendre conscience de son travail.

Voilà ce que je continue de mettre en place modestement :wink:
Je suis très intéressée par d’autres idées, attitudes ou outils de la part des collègues :bulb:

Un autre fil de discussion sur le sujet (en maternelle) : Encourager sans évaluation ni jugement


#6

Bonsoir à toutes et à tous,
Il s’agit pour moi également d’un sujet essentiel: je me demande constamment comment accompagner celui qui apprend afin que ce dernier élabore son propre jugement (son chemin lui appartient) -condition pour préserver la motivation intrinsèque- sans pour autant le laisser livré à lui-même: un équilibre à ajuster intelligemment recquerrant beaucoup de sensibilité en fin de compte.

Ce que je mets en place passe par la description laquelle me semble relativement neutre: description sans jugement des faits, des actions, des réalisations, mais aussi description des émotions, c’est-à-dire par exemple lorsque celui qui a réalisé une peinture me demande joyeusement si je trouve ça beau, j’entends son enthousiasme (ou sa peine en cas de déception, etc.), lui montre de façon enthousiaste également que j’ai vu sa joie d’avoir réalisé cette peinture.

Par ailleurs, je mets en lien chacun avec des façons de faire inventées par d’autres ou des procédés établis, et ce, tout en faisant attention à choisir le bon moment, le moment où celui qui apprend semble réceptif. Mettre des ressources à disposition et favoriser les interactions avec les autres est aussi un bon moyen de permettre à l’autre de les découvrir par lui-même.

Pour moi la validation d’exercice n’a d’intérêt que si c’est l’auteur de l’exercice qui la réclame. Sans quoi elle risque de tomber “comme un cheveux sur la soupe” voire de déstabiliser de façon préjudiciable celui qui est censé apprendre.
Ainsi, au moment où l’on vient me montrer avec plaisir une réalisation (exercice ou autres) en sollicitant un retour de ma part et après avoir décrits les aspects fluides, intéressants, ingénieux, etc. je me sens alors autorisée dans la relation individualisée à indiquer les points qui me posent des difficultés, à moi, personnellement (par exemple en écriture: tu sais, à cet endroit, j’ai vraiment du mal à lire ce mot…). Je mets l’accent sur ma difficulté à moi. Le problème m’appartient, ce n’est pas celui de l’autre. Par conséquent, celui-ci ressent plus facilement et plus spontanément le désir d’améliorer les choses par empathie et désir de s’intégrer. Me focalisant sur la confiance absolue que j’ai en sa capacité à grandir et à apprendre, je le laisse libre de régler ou non le problème, de la manière et du moment tout en restant disponible et à l’écoute. On est tous ensemble une équipe.

Et quand certains points posent problème à l’équipe elle-même, on cherche ensemble des solutions.

Enfin, la validation et le système de valeurs ne doivent pas faire oublier que c’est le chemin qui compte, non pas les réalisations en elles-mêmes. Il ne s’agit pas d’atteindre un idéal absolu qui d’ailleurs n’existe pas. Le chemin, c’est vivre, expérimenter, s’adapter, chercher, se transformer en chercheur de sons, de calculs, d’histoires, de façons d’écrire, en chercheur de merveilles, en chercheur d’ingéniosité… Et moi-même, plutôt que de me positionner comme celle qui sait (je ne suis bien sûr pas un dictionnaire ou une machine), je préfère me considérer comme étant absolument chercheuse dans une équipe de chercheurs.

Humaniser.


#7

Mais alors comment vous faites pour corriger les exercices écrits?


#8

bonjour
pour ma part je dis à l’enfant : tu es content? il répond oui car l’exercice se passe toujours bien si l’adulte y veille, et je réponds : alors c’est bien. ce qui donne la priorité au sentiment de l’enfant et non à l’évaluation de son travail. je ne mets pas de smiley ou autre. Le travail réalisé me donne seulement une indication ponctuelle des capacités ou des intérêts de l’enfant à un moment précis : c’est plus un document de travail. Lorsqu’un travail est particulièrement réussi, je m’autorise : bravo, tu fais beaucoup de progrès en ce moment. Lorsqu’on a veillé à respecter les capacités de l’enfant, son temps de travail, qu’on l’a aidé à se corriger au bon moment si nécessaire, on n’a plus besoin de dire que le travail est moins réussi ou faux c’est toujours réussi. C’est ce que permet un apprentissage individuel. ça m’a aidée à maîtriser mon “impatience” lorsqu’un enfant a besoin de plus de temps pour avancer, j’ai testé les “périodes sensibles” et ça a payé. quelques semaines après l’enfant a montré son intérêt de façon spontanée et a rattrapé son écart. Merci Maria ! Voilà pour le partage en espérant que ça t’éclairera.