École fermée continuité des apprentissages


#87

J’enseigne depuis 20 ans.
Avant j’ai eu une autre vie.
Notamment, une vie d’élève.
Je pense que l’école n’est pas et ne se prend pas pour l’axe principal de la vie de l’enfant. Je ne connais pas une seule collègue qui a la vanité de penser ça. Même si ces derniers temps la hiérarchie tente d’utiliser ce levier pour nous faire faire ce qu’elle souhaite.
Par contre, je sais d’expérience et par mes lectures que l’école est la plupart du temps la première fenêtre ouverte sur le monde différente du point de vue donné depuis celle des parents (je parle de l’école publique lorsqu’il s’y joue la mixité sociale). Alors oui, Bourdieu et Franck Lepage parlent d’accentuateur des inégalités sociales. Mais Camus et moi même savons que croiser dans notre vie une personne qui apporte ce regard extérieur à l’environnement familial, ce n’est pas tout, mais ce n’est pas rien. Pour l’auteur de “La peste” sa vie aura suffit, pour la plupart des enfants d’ouvriers ou de prolétaires, dont je suis, il faudra plusieurs générations.
Je vous suggère la lecture de “Chagrin d’école” de Daniel Pennac et de “Comme un roman” du même auteur. Dans ce dernier, vous lirez pourquoi ce prof ancien cancre souffrant sur les bancs de l’école, est convaincu que de mettre les éléves au travail dans une fermeté bienveillante et dans l’exigence peut créer une bulle salvatrice. Pas changer des situations familiales ou économiques ou gommer les conséquences d’un confinement. Mais créer un espace temps durant lequel il sera question de construction des savoirs et de son individualité.
Tous ceux qui ont connu un traumatisme personnel et ont utilisé l’école comme refuge représentant un monde stable et rassurant comprendront de quoi je parle.
Encore faut-il que les adultes de l’école tiennent cette place dans leur rôle ; pédagogue et certes ni psychologue, ni parent de substitution.

Pour la lisibilité du forum, je vous propose si vous souhaitez poursuivre cette réflexion sur le rôle de l’école, d’ouvrir un sujet qui lui serait consacré.


#88

Je suis profondément d’accord avec le pouvoir émancipateur de l’école, c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle j’ai choisi ce métier. J’ai par ailleurs une réserve quant à la réussite de cet idéal au regard de la méfiance avec laquelle le monde enseignant accueille les critiques du système traditionnel et les méthodes qui semblent être plus efficaces et émancipatrices (comme celles de Celine Alvarez). Mais c’est un autre sujet…ou pas !

Cependant, je ne souhaite justement pas parler du rôle de l’école comme un sujet à part entière, la littérature ne manque pas sur cette question comme vous l’avez souligné et j’ai choisi de m’adresser aux personnes sensibles au discours de Celine Alvarez, dans lequel je me retrouve.

Je me suis inscrite dans ce sujet, parce que justement, j’interroge plutôt ce que l’on demande à l’école en ce temps particulier du confinement. J’ai exprimé dans mes messages précédents mes questionnements sur le discours que je pourrais qualifier de dogmatique sur la continuité pédagogique. Je regrette que ce postulat n’ait pas été au moins discuté publiquement car il m’interroge grandement.

La course à l’activité scolaire me semble empêcher les réflexions plus profondes sur ce que cette crise sanitaire éveille en chacun de nous, et sur ce qui est réellement essentiel dans nos existences, notamment sur la question de l’éducation des enfants.
Ne serait-ce pas le moment de rappeler aux familles le grand pouvoir qu’elles ont sur leurs enfants avec bienveillance ? A mon sens, le discours officiel est trop axé sur la nécessité pour les enfants et les familles de continuer à apprendre et à faire apprendre les savoirs scolaires à travers leurs enseignants, qui relaient volontiers ce discours flatteur et rassurant.

Cependant je m’interroge, les enseignants sont-ils à ce point indispensables en ce moment ? Faire les devoirs est-ce la priorité actuelle ? J’ai une amie infirmière (donc en première ligne) qui me disait qu’en rentrant de sa journée de travail, elle allait “faire les devoirs” aux enfants avant qu’ils ne dorment. Est-ce comme cela que l’on veut que la relation entre les apprentissages, l’enfant et ses parents s’établisse ? Je crois réellement en la capacité des familles à élever leurs enfants au sens propre du terme, à condition qu’il y ait un échange constructif entre les professionnels de l’éducation et ces dernières, échanges qui, malgré le danger manifeste de cette période, n’a toujours pas lieu.

Encore une fois, il ne s’agit pas de jeter la pierre aux familles prises dans de nombreux questionnements et faisant comme elles peuvent, mais plutôt questionner le discours actuel des professionnels de l’éducation.


#89

Comme toi, je m’interroge sur l’intérêt de faire classe à tout prix en proposant des activités pour toute la journée comme si on était en classe avec un emploi du temps et un mode de fonctionnement très “scolaire”. J’entends bien que les collègues cherchent à bien faire et même s’y épuisent. Je ne blâme personne mais plutôt les injonctions dont nous sommes la cible. Beaucoup de parents en télétravail mènent de front leur activité salariale déjà dégradée et l’école à la maison qui fait parfois l’objet de disputes entre parents et enfants. Est-ce que c’est vraiment nécessaire ? Est-ce qu’on ne peut pas plutôt laisser tomber les programmes à la rentrée et partir de là où en sont les élèves ? Faire classe, ce n’est pas seulement donner des activités à faire. Enseigner, ce n’est pas appliquer une procédure. On comprend mieux pourquoi le ministère pense possible de remplacer des enseignants par des intérimaires non formés. Les familles de ma classe semblent apprécier le contact que nous gardons. C’est sans doute le plus important, au delà du travail que cela engendre ou pas après coup.


#90

Je suis bien d’accord avec vous.


#91

Je vois mes collègues qui s’épuisent à essayer de faire des contenus qui vont faire progresser les élèves et sont refroidies par le manque de retours de la part des parents. Ils s’obligent à envoyer les cours à 8h30 pour faire comme les jours de classe et passent la journée à réfléchir, se contacter pour harmoniser, traiter les enfants par besoins… C’est de la folie. En plus de ça, ils reçoivent 30 mails par jour dont beaucoup ne les concernent même pas. Bref, les journées passent, sans se poser, sans prendre enfin le temps de se former par des MOOC ou des lectures, sans prendre du recul, la tête dans le guidon comme toujours, déjà en train d’organiser l’hypothétique reprise du11 mai.


#92

Je partage l’idée que notre énergie pourrait se situer ailleurs en effet. Et comme vous le soulignez, l’heure étant à la reprise, il va vite falloir maintenant réfléchir aux nouvelles modalités de l’apprentissage en présentiel.

Si la crise sanitaire a permis de prendre un certain recul sur nos modes de production, le délitement de l’hôpital public et sur la dévalorisation des professions essentielles à la vie de la Nation, il n’y a aucun débat sur l’éducation des enfants en France alors même que l’on sent la vive inquiétude que la plus grande présence des enfants au sein de leur famille génère. Je trouve cela tout à fait préoccupant… avons-nous oublié que l’éducation des enfants nécessite un investissement considérable ?

Il me semble que cette crise aurait pu permettre d’évoquer dans le débat public l’importance de la famille comme instance de développement et de sécurité affective pour les enfants en la revalorisant, tout comme nous revalorisons les professions jugées à priori comme insignifiantes. Considérons-nous la fonction parentale dérisoire au point de ne même pas penser à la revaloriser dans un contexte où être en famille est à peu près le seul lien social autorisé ?

Bref je suis profondément déçue du pragmatisme avec lequel la question de l’éducation des enfants a été traitée par le monde enseignant. Et pour le moment, aucun argument défendant la continuité pédagogique ne m’a réellement convaincue… mais il est déjà trop tard, il faut penser à notre retour en classe.


#93

Chaque chose en son temps … Pour l’instant il faut gérer l’urgence. Soyons optimistes, avec du recul, peut-être qu’on pourra faire bouger les choses. Dans l’éducation nationale comme ailleurs !


#94

C’est bien le problème, dans l’urgence il paraît nécessaire de hiérarchiser les priorités. La priorité était-elle à la continuité pédagogique ? C’est justement la question qui me taraude.

Je crains au contraire qu’avec le retour à la normale, on fasse l’impasse sur cette réflexion, puisqu’elle sera moins urgente grâce au retour des enfants dans les écoles. J’espère avoir tort.


#95

Bonjour,
Je viens de découvrir l’expo idéale d’Hervé Tullet: https://lexpoideale.com/fr/la-webserie/. Il propose des activités artistiques très simples pour constituer son expo à la maison. Bayam diffuse la websérie de ses propositions pendant le confinement, sans inscription https://app.bayam.tv/?pid=Homepage%20bayam&c=Bayam%20confinement


#96

N’étant pas institutrice, j’aimerais donner ici mon ressenti de parent sur cette situation “d’école à la maison”.

Pour nous parents, c’est juste ingérable. D’abord, j’ai beau avoir les théories de Céline Alvarez ou de Stanislas Dehaene en tête, des cahiers d’activité, des lettres rugueuses et tout plein de matériel ludo-éducatif… je ne suis pas institutrice! Et le rapport parent-enfant-maison est précieux et doit être préservé. L’école c’est un espace-temps, la maison-famille un autre. Enseigner à la maison, pourquoi pas, mais seulement si l’enfant est demandeur et toujours en respectant le plaisir de l’enfant.

Ensuite, comme cela a été dit, même avec la meilleure volonté du monde, le bagage éducatif, Internet, l’ordinateur et l’imprimante, je dois aussi trouver le temps de télétravailler, de faire la cuisine et réussir à préserver notre santé mentale à tous. On n’est pas des surhommes, juste des parents. Le multi-casquettes c’est la quadrature du cercle.

Ce dont les enfants ont urgemment besoin en ce moment, c’est de maintenir ou créer du lien social. Les projets collectifs dont vous avez parlé ici me semblent vraiment être la direction à prendre. Notre enfant aime aussi savoir que ses copains font ou regardent la même chose, en même temps. Pourquoi pas des chansons à apprendre pour les chanter tous ensemble quand on se retrouvera? Ou un grand dessin mosaïque composé d’un carré de chacun?

L’idéal aussi est d’essayer de trouver des activités sans écrans. D’abord bien sûr parce que toutes les familles n’en ont pas, mais aussi et surtout comme le disait Leno parce qu’en ce moment tout le monde propose déjà des trucs via internet. Nous étions une famille qui modérait le temps d’écran, mais depuis le confinement, nous avons doublé le temps autorisé de dessins animés, ajouté à cela le yoga sur youtube, le cour de musique sur youtube, les séances skype en famille et les livres racontés (merci au site papa positive de relayer tout cela). Mais à la fin, cela fait beaucoup (trop)!

Je n’ai pas lu le dernier livre de Céline Alvarez, mais j’ai compris qu’elle privilégiait les facultés exécutives avant les apprentissages scolaires. Je m’efforce donc de faire cela au travers des activités quotidiennes: cuisine, activités créatives variées, découpages, taches ménagères, rempotage-semis, Lego, blocs de construction, coloriages… j’essaie de l’intégrer dans le plus d’activités possibles.

Pourquoi pas recommander aux parents de lire 3 livres par jour à leur enfant, et éventuellement de faire des coloriages ou pâte à modeler pour illustrer cette lecture (puis photo pour partager avec les copains) pourrait entre une idée.

Sinon, à la maison, on joue : ce sont les Playmobils qui vont à l’école ou à l’aire de jeux. La maîtresse Playmobil enseigne aux enfants a compter ou encore les lettres. Les puzzle de chiffres deviennent des marelles pour les personnages. Les cahiers d’activités classiques ne plaisent pas beaucoup. Ceux avec points à relier de 1-10, coloriages et autocollants ont plus de succès.

Bref, désolée pour la longueur, mais pour résumer: les parents ne sont pas des profs et les instituteurs ne sont pas des magiciens! Si nous réussissons à conserver le lien social et la dynamique de groupe des enfants, tout en développant leurs capacités exécutives, alors ce ne sera pas vraiment du temps perdu.