Merci pour ce sujet, vraiment central.
Merci pour toutes vos pistes de réflexion.
Tout d’abord, je voudrais vous dire que c’est normal de douter, c’est même plutôt bon signe.
J’en ai posté des messages de détresse, et je sais que j’en posterai encore sûrement. J’accepte cela.
La bienveillance commence par soi-même. Notre état mental et physique connaît des cycles, la nature nous l’enseigne. Nous ne pouvons pas être tout le temps au sommet de notre forme, nous traversons des périodes de grand dynamisme, mais aussi des périodes de latence. Nous ne reprochons pas aux arbres de perdre leurs feuilles en automne, ne nous reprochons donc pas nos états de fatigue.
Ceci vaut bien sûr pour les enfants.
Je ne saurais évidemment mieux dire que Céline Alvarez. Je commence à avoir un peu d’expérience et ce que note @Celine, je l’ai observé aussi.
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Ensuite, je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais il y a également des périodes très clairement identifiables où toute la classe semble se désorganiser… mais pour un autre motif qu’une simple fatigue physique ou qu’un simple changement de saison. Cette période n’est pas seulement une “période agitée” mais peut-être un passage essentiel, “créateur” dans le sens premier du terme, que nous devrions reconnaître et accompagner. Je pense à ces moments agités lors desquels les enfants ne semblent plus du tout disponibles pour des apprentissages sollicitant fortement leurs ressources cognitives… mais qui sont pourtant des périodes souvent suivies de “bonds” dans les acquis. Ces périodes “brouillonnes” apparaissent souvent une ou deux semaines avant les vacances, et, au retour des vacances, nous sommes surpris par les avancées et consolidations que nous constatons. Comme si, après une période d’apprentissage soutenue, et avant d’aller plus loin, une période de “repos cognitif” s’imposait pour digérer toutes ces nouvelles informations avant de les extérioriser.
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Je crois que c’est ce que j’ai remarqué de plus flagrant. Quand on laisse les enfants évoluer selon ce qu’on appelle ici “les lois naturelles”, on observe clairement ces phases extrêmement intéressantes. Ces périodes de latence essentielles pour l’enfant.
Cela va à l’encontre de notre formation qui nous apprend à contrôler à chaque instant le temps de l’autre, à lui imposer un contenu mais aussi un rythme de travail.
Je peux vous assurer, car je l’ai vu de mes propres yeux, qu’un enfant peut passer des semaines à poinçonner (LE grand succès ici) ou encore observer des mois … puis apprendre à lire en une semaine. Il m’a fallu lutter intensément contre tout ce qu’on m’a appris, contre mes croyances, pour ne pas asseoir ces enfants de force devant une table et un crayon.
La question du plan de travail m’a occupée des mois, voire des années.
Je partage ici mon expérience, qui n’a donc qu’une valeur subjective.
J’en ai mis en place au début. La classe n’était pas bien organisée, je n’avais pas d’expérience, plus de 30 élèves, pas de moyens, pas d’aide.
C’était une béquille, cela m’a rassurée un temps.
Puis, quand l’environnement est vraiment devenu propice au travail (c’est dingue comme changer une table de place, enlever un coin jeu ou réorganiser une étagère peuvent changer la vie), quand nous avons réussi à définir, à force de tâtonnements, des règles de vie censées … j’ai lâché ma béquille. Béquille horriblement chronophage.
J’avais pris en photo chaque activité et je “patafixais” ces étiquettes plastifiées sur un plan de travail. Chaque jour. Pour tous. Une folie.
Mais si je n’ai plus besoin de ce système, c’est en partie grâce à l’expérience. C’est loin d’être parfait, bien sûr, mais on ne dira jamais assez combien le temps compte pour appréhender et digérer cette nouvelle façon d’enseigner.
Garder ses élèves est très important aussi. Quand il faut tout recommencer chaque année, c’est épuisant. Quand mes PS arrivent dans notre mini-société déjà installée, ils sont accueillis par leurs pairs autant que par moi. Davantage que par moi.
Donc, il n’y a plus de plan de travail, MAIS, un accompagnement est tout de même nécessaire. Accompagnement très étroit pour certains.
Je demande à l’ATSEM (dont la présence est une condition sine qua non) d’orienter quelques enfants sur des activités précises, et de les aider à acquérir quelques compétences socles. Je nous prépare des documents qui nous permettent de cibler rapidement les besoins (voir le sujet sur le suivi des élèves). Nous savons que nous devons davantage à certains enfants.
Je distingue par contre deux types d’enfants qui en apparence, avancent peu :
- Ceux qui dérangent les autres et ne font rien de constructif pour eux-mêmes. Et là, nous agissons rapidement. J’aime l’expression “bienveillante fermeté” d’Isabelle Peloux (Ecole des Colibris). Nous sommes directives à l’oral afin de les orienter sur un choix d’activité restreint, et surtout nous les empêchons de gêner le travail des autres. La liberté oui, mais une liberté cadrée : l’adulte est là pour garantir le calme et la sécurité.
Evidemment, nous ne réussissons pas toujours.
Je crois aussi qu’il y a des enfants porteurs de handicaps, qui ont BESOIN d’ AVS formé et d’aménagements personnalisés. La prise en charge du handicap en France est scandaleuse.
- Ceux qui ne mettent pas à proprement parler la main dans le cambouis, les observateurs, les bons copains qui s’installent avec le plus grand respect près de leurs camarades au travail. Ceux qui colorient inlassablement des mandalas et empilent des kaplas pendant des heures. Ils ne dérangent personne. Mais ils m’ont rendue folle .
J’en ai connus plusieurs, surtout en MS d’ailleurs . Et puis, un jour, ils réalisent des exploits. Nos “meilleurs élèves” aujourd’hui sont ceux qui interpellaient le plus nos visiteurs dans la classe. “Mais, tu te rends compte, elle a passé sa journée au coin bibliothèque?!”.
La même qui, le lendemain, additionnait les grands nombres et lisait un petit roman, entre deux poinçonnages, bien sûr .
Ceux-là, vraiment, j’essaie de protéger leur exquise tranquillité, j’apprends à ne pas laisser mon angoisse parasiter leur développement naturel. Sur leur front impassible, il y a écrit " NE PAS DERANGER".
Pour connaître les enfants, distinguer “l’observateur-constructeur” de celui qui a besoin d’aide, je m’impose quelques plages d’observation. Je me place dans une position stratégique, je leur demande de ne pas m’interroger car je m’adonne à une activité fondamentale : OBSERVER. Je mets cartes sur table et je leur dis que je vais les regarder pour mieux les comprendre. Que je trouve leur travail et leurs mouvements vraiment beaux.
J’ai une grille d’observation pour aller vite (car cela ne dure pas des heures ) : je note avec un code leurs ateliers et leur comportement. Action, observation, errance. Activité constructive ou non. Je note leur degré d’attention.
On a des surprises en s’adonnant à ce petit jeu…
Personnellement, j’ai vraiment du mal avec le bruit, c’est mon point faible. Je n’arrive pas à gérer le bruit, à 32 dans une petite salle. Alors, dans la classe, non.
J’essaie de leur permettre de rire, crier, le plus possible… mais dehors.
Je rejoins tout à fait Céline sur le pouvoir apaisant de la nature. Voir le film "Etre plutôt qu’avoir’.
Les beaux jours arrivent. Nous allons passer le plus clair de nos après-midis dans le potager.
Je suis consciente que c’est une chance incroyable de pouvoir profiter de la nature. Cela devrait être un droit humain. Des études prouvent que les hommes entourés d’arbres sont plus heureux.
Bon courage à toutes et à tous !