Permaculture scolaire


#13

Salut @charles. Je vais reprendre la suite de mon message interrompu. Et je te remercie pour tes remarques.

En pédagogie active, de type Freinet, Montessori, Steiner et autres, on parle effectivement de travail, mais on s’appuie sur la motivation intrinsèque des enfants pour lesquels tout est prétexte à jouer. Le travail est rendu ludique en fait. Difficile d’aller contre cet élan naturel.

Nous nous battons tous dans nos classes pour contrer le détournement du matériel par des enfants qui ont plutôt envie de l’utiliser pour chahuter, ou simplement pour des jeux d’imitation. Et mis à part avoir l’œil et ne rien laisser passer, je n’ai toujours pas trouvé la parade. C’est usant. Certains jours, cette surveillance prend le pas sur le reste.

Je réfléchis donc à utiliser à bon escient cet envie des enfants de jouer. Guider leurs jeux pour conforter des apprentissages. Je marche sur des œufs, et je cherche encore l’approche la plus pertinente. Pour le moment, je suis comme toi Charles, ça me fait un peu peur, le jeu dérivant facilement vers le chahut. Il est beaucoup plus facile de guider une activité cadrée neutre sans enjeu ludique. De type Montessori par exemple. Mais le jeu est tellement puissant pour stimuler le langage et la motivation des petits que je trouve dommage de nous en priver…


#14

Tout à fait d’accord. D’ailleurs, j’ai des collègues qui font des choses formidables en terme d’apprentissages avec les jeux d’imitation. N’y arrivant pas, je préfère du matériel qui m’aide à mieux aiguiller mes élèves. Mais je garde les jeux à règles (jeux de cartes, mémory, de circuit, etc). Et les jeux de constructions libres (par contre très dépouillés : kaplas et blocs de bois).


#15

Pédagogie active

Ce terme regroupe toutes les approches qui placent l’enfant en position d’être actif dans ses apprentissages. Au sens où la motivation première de l’enfant est de gagner en autonomie pour grandir. Il se projette donc dans la réussite de l’activité tout seul ; une activité maîtrisée procure du plaisir et sera réinvestie tous les jours pour se rassurer ; une activité trop difficile sera détournée ou bien délaissée. La gageure de l’enseignant est donc d’accompagner pas à pas chaque élèves pour le mettre en confiance, qu’il ose délaisser un temps les activités rassurantes mais trop faciles pour découvrir des activités et des apprentissages nouveaux. C’est le défi que se pose chaque enseignant, chaque parent : trouver la juste place entre trop ou pas assez aider son enfant. Et le juste équilibre évolue car les enfants ne cessent de grandir et de nous étonner. On est souvent d’ailleurs dépassés et on doit sans cesse s’adapter.

Toutes les pédagogies actives font confiance aux enfants eux-même pour être à la juste place dans cet équilibre dynamique des apprentissages vers l’autonomie. Il faudra donc qu’ils puissent vraiment choisir à quel rythme avancer, c’est le principe des activités libres autonomes.

Mais aussi que le cadre soit clair, rassurant et le matériel accessible. Ils ont donc le choix dans un cadre défini par l’adulte, qui est le garant de bonnes conditions d’apprentissage, à commencer par la sécurité affective, physiologique et relationnelle. C’est une évidence, mais un enfant ne grandit bien qu’en bonne santé et en confiance : amour, gentillesse, bienveillance, humour, attention, souplesse … Et un cadre qui garantisse qu’il ne se fera pas voler, pousser, taper, commander, crier dessus, ni par des adultes ni par ses camarades …

L’approche permaculturelle rejoint ces conceptions de la pédagogie active, tout en donnant un cadre plus large de réflexion quant aux besoins de s’adapter à des situations diverses et changeantes. Observer, valoriser les outils disponibles, contourner les obstacles, accepter les retours, intégrer les imprévus … Nous entrons dans des temps incertains, le monde change à grande vitesse ; comment mieux préparer les enfants à vivre leur vie d’adulte qu’en leur donnant de la confiance en eux, valoriser leur curiosité et leur ingéniosité naturelle, intégrer des moyens de communication non violente, des outils d’écoute et de prise de décision collective …


#16

J’avais proposé pour lancer ce sujet sur la permaculture scolaire de reprendre chacun des grands principes généraux en permaculture et de creuser de façon concrète dans ses pratiques de classe. On pourra élargir aussi la réflexion avec les parents en permaculture éducative sur l’éducation positive … Pour ceux qui ne connaissent de la permaculture que le jardinage en buttes, je conseille à nouveau cet ouvrage fondateur de David Holmgren, Permaculture, maintenant traduit en français aux Eds L’écopoche.
Je me lance en tachant d’être précis et concret. Libre à vous de rebondir …


#17

Observer et interagir

L’enseignant est avant tout un observateur dans sa classe, et un guide pour orienter finement les élèves vers des apprentissages à leur portée. Une bonne journée de classe est une journée où j’ai pu passer du temps en retrait, en simple observation. L’ennui stimule la créativité des élèves. Eh bien de même pour l’enseignant ! l’observation bienveillante et attentive lui apporte souvent les meilleures idées. N’attendons pas forcément d’avoir préparé en amont une grille de critères d’évaluation précis, même s’il en faut parfois. Juste se poser, regarder les élèves, et être présent dans sa classe, disponible, ouvert à l’imprévu.

Mais il faut se forcer au début ; on a tous tendance quand on commence ce métier à être à fond, plein d’énergie, un moulin à parole, à vouloir tout contrôler, tout régenter, en scène toute la journée. On veut bien faire, mais à trop vouloir se placer au centre de sa classe, on oublie de varier les postures d’enseignement. On prive alors les élèves de faire eux même leur expériences de vie collective autogérée.

Comme dans toute thérapie, commençons par s’observer soi-même avant de vouloir changer les autres. Posons nous la simple question en tant qu’adulte, enseignant ou parent, des diverses postures que l’on a adopté dans nos échanges avec les enfants. Dans une journée de classe, combien de temps ai-je consacré

  • à parler / à écouter ?
  • à observer / me donner en spectacle ?
  • à communiquer de façon orale / visuelles / tactile ?
  • à parler fort / chuchoter / me taire ?
  • à être en collectif / en petit groupe / en tutorat / seul ?
  • à sourire / me fâcher / pleurer ?
  • à regarder un enfant dans les yeux / à surveiller le groupe ?

L’interaction pourra alors être plus efficace, ciblée, discrète. Même sur les consignes, on a toujours tendance à en dire trop, on perd les élèves les plus faibles. Se taire est parfois pertinent, laisser venir la parole de l’élève, qui peut être déstabilisé dans un premier temps s’il a l’habitude qu’on lui dise toujours tout, qu’on le guide pas à pas dans son travail. Mais être présent à ses côté lui suffit parfois juste pour oser et se lancer. Comme en escalade, il sent à peine la main qui est prête à le parer dans son dos, mais il fait l’expérience d’être livré à lui même face à la paroi, et de faire ses propres choix sans jugement.

L’efficacité est une valeur d’entreprise. A l’école on prend son temps, et on en perds parfois ! pour mieux apprendre de ses erreurs … On vise le long terme, la réussite de l’élève ne se limite pas à un sans faute dans un exercice, ni à un bon bulletin scolaire annuel. On cible sa formation citoyenne, en tant qu’individu, futur adulte, confiant en lui, dans sa capacité à créer, juger, communiquer.


#18

Capter et stocker l’énergie

Les enfants débordent d’énergie. Ils bougent en tout sens. Et pétillent d’intelligence. Mais comment guider toute cette énergie à l’école pour en faire un lieu où se construisent et s’échangent les savoirs ? Les savoirs être, savoirs faire, les connaissances. Comment canaliser ce formidable flot d’énergie sans le tarir ?

Comment travailler et apprendre dans une agitation et un bruit permanent ? Le chahut disperse l’attention des enfants, ils zappent d’une activité à l’autre sans fixer leur attention. Ils sont sans cesse sous la menace d’un évènement qui vient perturber leur activité, déranger leur tranquillité. Le bruit ambiant fait parler tout le monde encore plus fort.

Inversement, comment travailler et apprendre dans une classe tombeau, dans un silence de plomb, sous la férule du maître ou de la maîtresse qui fait régner l’ordre dans sa classe par la terreur. Rien ne s’échange entre élèves. La seule motivation est de ne pas se faire gronder. Certain réussissent à passer inaperçus. D’autres entrent en résistance dans la provocation. Et c’est le cercle vicieux …

Il me faut trouver une troisième voie, qu’un observateur dans ma classe pourrait qualifier de joyeux bordel organisé ! Par contrat, les enfants se sentent libres dans la classe car ils savent leurs droits et leurs devoirs. Ils sont en confiance car ils savent que personne ne pourra venir les déranger, perturber l’activité en cours. Les adultes en sont garants. L’équilibre est fragile, il me faut souvent détourner l’attention d’un chahut en rusant par l’humour, la surprise, la tendresse, la mise en scène, la chanson … et parfois la colère quand je suis trop fatigué pour trouver autre chose de plus efficace ! Heureusement, autant les petits se dispersent vite dans le petit chahut, autant il est facile de retourner leur attention vers l’activité. Sauf quand eux aussi sont fatigués. Dans ce cas, je n’insiste pas, ils passent à autre chose, vont courir, s’allonger, bouquiner …

Les adultes sont toutefois souvent les premiers responsables d’une mauvaise ambiance de classe. On parle souvent trop fort, ou trop longtemps. Ou on s’obstine dans une activité préparée sans sentir que ce n’est simplement pas le bon moment. On donne le mauvais exemple en interpellant un élève à l’autre bout de la classe, en se déplaçant trop vite, en ne prenant pas assez le temps de se poser, en ne prenant pas assez à coeur ce que l’on fait. Par mimétisme, les élèves reproduisent tous nos travers. L’équilibre d’une classe est délicat, soumis aux aléas de la météo et des signes astraux, que sais-je ! Mais commençons par nous comporter comme on aimerais que nos élèves se comportent, et le reste suivra peut-être …

Quelques attitudes auxquelles je m’astreins, en me forçant parfois car ce n’est pas naturel au début.

  • Chuchoter pour parler à un élève ou un groupe proche.
  • Poser la main sur l’épaule d’un élève et attendre sa disponibilité pour lui parler.
  • Utiliser des formules de politesse même si cela prend plus de temps.
  • Attendre l’attention de tous pour prendre la parole, (lever la main) .
  • Accepter qu’un élève me dise non si je lui en ai laissé le choix.
  • Laisser un élève s’installer comme il le souhaite dans la mesure où il est attentif et ne dérange pas.
  • Accepter qu’un élève prenne le temps de finir ce qu’il est occupé à faire.
  • Communiquer également par gestes (langue des signes)
  • Donner la parole à chaque élève qui la demande et prendre le temps d’écouter.
  • Ne pas forcément valider ou donner mon avis.
  • M’excuser et expliquer clairement quand je dois déroger à ces “règles”.

La circulation du savoir entre élèves est également primordiale. Par leur attitude, les grands vont fortement influencer les petits qui arrivent. Ces derniers sont très observateurs et vont chercher à reproduire tout ce qu’ils voient. Ainsi vont se transmettre naturellement toutes les bonnes habitudes que l’on aura réussi à mettre en place dans sa classe. Mais également malheureusement toutes les bêtises ! Le mélange des ages et des niveaux est importantes pour cette transmission. Les savoirs vont passer entre les élèves.

Je ne passe pas mon temps à faire des présentations à tous par exemple. Je compte souvent sur les élèves déjà initiés pour montrer une activité nouvelle à ceux qui ne la connaissent pas. La photo des élèves référents est collées sur l’activité, les élèves qui le souhaitent savent qu’ils peuvent leur demander de l’aide. J’assiste cependant quand je le peux à ces moments de tutorat, ne serait-ce que pour vérifier qu’ils transmettent les consignes correctement, avec les mots précis, et assister les élèves tuteur dans cette compétence experte d’enseignement. Je valide d’ailleurs cette expertise par une cinquième étoile dans mes fiches de réussite (voir le sujet “Accompagnement des élèves”). En maternelle j’avoue cependant, la transmission orale des savoirs n’est pas facile entre enfants. J’entends rarement des élèves capables d’expliquer correctement une consigne à un autre élève spontanément en toute autonomie, ça demande une grande compétence, mais j’y travaille ! Et quand cela arrive, ce sont des purs moments de bonheur, si gratifiant. La transmission s’effectue de fait souvent de façon plus implicite, par simple observation et mimétisme, c’est déjà ça !


#19
  • Obtenir une production
  • Appliquer l’autorégulation et accepter la rétroaction
  • Utiliser et valoriser les ressources et services renouvelables
  • Ne produire aucun déchet
  • La conception, des motifs aux détails
  • Intégrer au lieu de ségréguer
  • Utiliser des solutions lentes à petite échelle
  • Se servir de la diversité et la valoriser
  • Utiliser les bordures et valoriser la marge
  • Face aux changements, être inventif

Tous ces principes fondateurs en permaculture demandent également à être abordés et illustrés d’exemples. N’hésitez pas à vous lancer. Pour ma part, je continuerais à essayer d’illustrer cela par mes réflexions et témoignages. Ils sont sans prétention. Mais ils contribuent cependant à me mettre au clair avec mes pratiques de classe. Car on peut vite, sans y prendre garde, ronronner et prendre de mauvais travers.

Car on est seul dans nos classe face aux élèves. Et c’est un exercice délicat que d’exercer un regard critique et constructif sur ses propres pratiques. Les échanges entre collègues sont d’une grandes aide. J’ai beaucoup appris en observant ce qu’il se faisait ailleurs. Sauf qu’on a peu l’occasion de pouvoir se poser dans la classe d’un collègue qui accepte qu’on le regarde et qu’on en discute. De toute façon, j’ai mes propres élèves à gérer et aucune décharge.

En tant que parents également, on pourrait élargir ces réflexions ; ça pourrait s’appeler de la permaculture éducative. C’est un vaste sujet de discussion, et nul n’est prophète en la matière. Ils y a de bons magazines et livres en parentalité positive. Je cite PEP’S, mais je suis certain que vous pourrez donner plein d’autres références.

Merci à tous. Merci pour vos retours.


#20

J’aime beaucoup lire ce post ;-).
J’ajouterais à la liste des choses auxquelles on s’astreint :

  • veiller le plus possible à notre niveau de langage: négation avec le « ne », inversion sujet verbe pour questionner, précision du vocabulaire.

:wink:


#21

Obtenir une production

C’est l’intitulé du troisième principe en permaculture, on vise l’abondance et le partage des surplus. En terme péda appliquée à la classe, on va le traduire par Comment mettre sa classe au travail ? Comment faire progresser tous les élèves ? Le savoir est sans fin et il n’y a aucune raison de se mettre de limite tant qu’un élève est motivé.

En fonctionnement classique en cohorte, l’enseignant dicte à son groupe d’élève ce qu’il doit apprendre. Il rame pour tirer vers le haut les élèves en difficulté, et limite les progrès des autres élèves aux compétences prévues. Alors que, si on leur lâche la bride, certains sont souvent motivés pour entrer à fond dans des apprentissages que l’on n’avait pas forcément prévu. Combien d’élèves de quatre ans nous surprennent en apprenant d’eux même à lire ! Et les élèves soit-disant en difficultés peuvent aussi nous étonner en se passionnant pour des domaines imprévus où ils se mettent à exceller.

Comme en jardinage, ça ne pousse pas toujours comme on l’avait prévu. Il faut savoir associer les plantes, semer au bon moment, être patient et intervenir au bon moment pour désherber, dé-épaissir, replanter en pleine terre … Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et savoir saisir les opportunités. Savoir rester humble aussi, on ne contrôle pas tout.

L’attention doit être portée en particulier vers les élèves les plus discrets, ceux qui cherchent à se faire oublier. Comment faire progresser un élève qui ne rentre pas dans les apprentissages ? Qui refuse toutes les activités que l’on peut lui proposer. Observons le avant tout ! Comment occupe-t-il son temps ? Est-il en retrait fermé à tout ? Ou observe-t-il ce qui se passe ? Est-il concentré ou dispersé ? Semble-t-il intéressé ou blasé ? Souvent une approche non frontale est plus pertinente. Parfois juste s’asseoir à côté et attendre que l’élève fasse le premier pas.

Les élèves dispersés posent aussi problème, mais généralement on ne les oublie pas ! Ils perturbent la classe, provoquent des petits chahut, cherchent à capter l’attention, et ne sont pas du tout dans les apprentissages proposés en classe. Ceux là ne peuvent pas être livrés à eux-même tant qu’ils n’ont pas compris que le temps de classe est un temps sacré, un temple du savoir, un lieu codifié plein de contraintes mais également riche de nouvelles libertés. Je théâtralise, j’use de formules poncives, mais je fais de même en classe avec ces élèves. J’en rajoute ; plus ils se précipitent, plus je ralentis. Plus ils s’impatientent, plus je les fais mariner. C’est le petit groupe de terribles assis avec moi ; ils sont un peu punis et contraints, mais je fais comme s’ils avaient choisi de rester à travailler à côté de moi et je les en félicite.

L’ennui force l’inventivité. Tout comme la simplicité conduit vers la complexité. L’épure est propice à la diversité. La contrainte est source de créativité. Et les bouleversements bousculent les habitudes trop confortables. Je me force dans ma classe à changer les accès aux activités. J’ai généralement trop de choses, les enfants se dispersent trop. Ou ne sont pas assez curieux, ils ont trop de choix, ils se rassurent alors en allant uniquement vers les activités connues. C’est pourquoi je ferme temporairement l’accès à certains placard. Je fais tourner les activités proposées sur les étagères. Je range un matériel délaissé par les enfants pour plus tard le ressortir et susciter à nouveau l’intérêt. Je change la disposition des meubles. Je cache des surprises. J’essaie d’éveiller leur curiosité. Qu’ils se rassurent en classe avec des activités qu’ils maîtrisent. Mais qu’ils prennent goût également à découvrir chaque jour de nouvelles choses, et qu’ils s’y tiennent sans papillonner.

La rareté crée aussi le désir. Les enfants sont très grégaires et des modes traversent en fait la classe tout au long de l’année. A certains moment, un certain matériel va avoir un succès fou. Les élèves vont se chamailler pour y avoir accès. L’enseignant a alors deux possibilités pour rétablir l’équité entre les élèves pour l’accès à ce matériel si convoité :

  • créer un tour de rôle, gérer l’accès, garantir que tous en profite de manière égale
  • investir pour dupliquer ce matériel à succès, que chacun puisse avoir le sien

Alors, curieusement, la mode va passer, et toute l’énergie investie par l’enseignant pour gérer la situation de partage va devoir à nouveau se tourner vers une nouvelle activité convoitée.

C’est pourquoi j’ai renoncé à chercher à garantir un juste partage matériel entre les enfants. Un enfant qui s’approprie une activité la garde aussi longtemps qu’il souhaite s’y consacrer. En suscitant l’envie des autres, on suscite également leur curiosité. Et l’heureux élu aura à cœur de se consacrer à fond à cette activité si précieuse, dont il pourra devenir un référent en montrant aux autres comment s’y prendre. Un élève qui aura la chance d’avoir accès à une activité convoitée se retrouvera au centre d’un cercle d’attention. La star du jour s’appliquera à réaliser au mieux les consignes demandées sans chahuter, au risque de se voir demander de ranger et de perdre sa prérogative. Il a aussi la garantie que aucun autre élève n’a le droit de le déranger ou de toucher à son matériel, il prend donc son temps en toute confiance. Cette règle est généralement bien respectée et comprise, car les enfants la font respecter d’eux-même. Et un enfant qui dérangerait un autre se verrait refuser le droit d’assister au spectacle.

Enfin, je suis moi même parfois spectateur ou à l’initiative de cette activité convoitée. Je m’assois autour d’une table et j’ai sorti un nouvel atelier attrayant. Les premiers enfants à en bénéficier auront la chance de pouvoir avoir une place autour de la table avec moi, les autres devront se contenter de regarder et baver d’envie ! Mais on apprend aussi en regardant. Et les quelques privilégiés du moment s’appliquent à faire au mieux car ils se savent observés. Je n’ai pas de scrupules à ne pas garantir que tous les élèves aient réalisées exactement la même activité. Chacun sait qu’il est libre de faire d’autres choses, et qu’il aura d’autres occasions. J’en profite également pour canaliser quelques enfants perturbateurs à qui je ne donne pas le choix, mais qui vivent finalement cette contrainte d’être avec moi comme un privilège vis à vis des autres. Je cible également des enfants qui doivent travailler avec moi sur l’activité que j’ai choisie. J’ai donc autour de la table en atelier avec moi un mélange entre des élèves “punis”, des élèves “en difficulté”, et d’autres simplement “motivés”. Mais je leur prête à tous la même attention bienveillante. :grinning:


#22

Autorégulation et rétro-action

Je fais un rêve ! Imaginons une classe idéale, heureuse, conçue de telle façon que le savoir circule, que les élèves apprennent ensemble, s’appliquent à respecter chacun. Chacun aurait conscience de sa place dans la classe, il serait là pour apprendre et y prendre du plaisir, et aider les autres à faire de même.
Réveillons nous maintenant ! Et voyons comment tendre vers ce nirvana sans s’épuiser ni se leurrer.

La plupart des dysfonctionnements dans une classe peuvent s’expliquer par le fait que nous refusons l’autorégulation et la rétro-action. Une classe qui est vivante est dynamique ; elle est soumise au hasard des humeurs de chacun, à la météo, au astres ou que sais-je encore ! L’enseignant doit alors pouvoir réagir à sa classe de façon souple et mesurée. Il est généralement inadapté de s’en tenir de façon stricte à sa fiche de préparation détaillée. Des collègues s’épuisent en étant arc-bouté sur leur emploi du temps, car ils s’en tiennent vaille que vaille à ce qu’il avaient prévu.

L’objectif de préparation de classe devrait être de pouvoir justement d’adapter aux élèves, tout en gardant le cap pédagogique. Je ne pense pas qu’il faille tout accepter, mais on doit pouvoir trouver des chemins détournés pour tendre vers un même objectif. Ces chemins s’improvisent à condition d’avoir réfléchi à l’avance à l’organisation de sa classe qui permette cette souplesse. Et d’être clair sur ses objectifs en tant qu’enseignant.

Notre place dans la classe est d’être facilitateur des apprentissages de chacun, garant du respect de l’intégrité de tous et des bonnes conditions de travail, de donner l’impulsion dans la bonne direction quand il le faut mais aussi de savoir par moment s’effacer et laisser la place aux élèves pour s’émanciper et grandir, faire leur propres erreurs, communiquer entre eux.

Nous devons veiller pour cela à varier notre posture professionnelle. Nous sommes parfois référents, enseignant professant le savoir comme à l’ancien temps depuis le tableau mais aussi en sortie tel Aristote délivrant son savoir en déambulant (d’où l’origine du mot philosophie qui veut dire se déplacer en grec). Bien, mais nous pouvons être aussi de temps en temps simples observateurs, organisateurs, garants, scribes, passeurs, public … Et pourquoi pas, pour rigoler, parfois simple élève, clown, personnage d’histoire, marionnette. Mais aussi parfois faire semblant d’être absent, endormi (pour de faux car nous sommes avant tout garant de la sécurité des élèves).

En fait l’autorégulation est une constante remise en cause et réflexion sur ses pratiques. Ne pas se prendre la tête, mais s’adapter, être à l’écoute de sa classe bien sûr mais également se respecter en étant conscient de ses propres limites. La méditation, la conscience de son corps, un sommeil respecté, la détente, la curiosité, la vie de famille, les liens sociaux, la culture, la lecture. Tout cela nous aide à nous sentir bien et à transmettre cette bonne énergie à nos élèves.

La rétro-action vient de l’écoute de la classe, une attention individuelle aux élèves en tant que personne avec ses humeurs. Le fait d’avoir une grande souplesse et de laisser un large choix aux enfants dans leurs activités nous permet en revanche d’être très exigeant quant au respect.

La classe n’est pas comme à la maison, il y a toute une série de rituels qui permettent à chacun de travailler et d’apprendre en toute liberté. Chuchoter, parler par message clair. Ranger, choisir une activité à la fois, ne pas détourner son utilisation. Pas de chahut, ne pas déranger le travail des autres. Demander gentillement, accepter les refus. Prendre son temps, patienter. C’est en acceptant également l’autorégulation et les rétro-actions que les élèves d’eux-même vont se plier à ces règles quand ils perçoivent tout l’intérêt et la liberté qu’elles leur apportent au quotidien à l’école. Pas facile pour certains qui ont bien envie naturellement de chahuter en classe, ou sont centrés sur leur propre personne. C’est une gageure que de les faire grandir en ce sens en s’imposant d’eux même leurs propres limites pour pouvoir gagner de façon collective en liberté.

Cela exige de la part de l’enseignant une constance, une persévérance, un calme, de la bienveillance et beaucoup de souplesse. Ne pas transiger sur l’essentiel, mais accepter une grande liberté en retour sur tout le reste. Comprendre qu’un enfant peut être fatigué parfois, avoir envie de s’allonger, de bouger, d’aller courir. Certains aussi vont manquer de confiance et juste rester à observer sans essayer pendant plusieurs semaines, ne rien faire. D’autres vont se consacrer à fond à une seule activité.

Varier les approches et le matériel, renouveler pour aiguiser leur curiosité, surprendre les élèves pour changer un peu leurs habitude. Ces ruses permettent de guider sa classe vers les apprentissages attendus sans remettre en cause frontalement les libertés qu’on leur a accordé. L’objectif est que les enfants prennent plaisir à ce fonctionnement de classe. Ils accepteront d’autant mieux les règles que cela impose. Et développeront petit à petit par eux-même leur capacité à s’auto-réguler et accepter les rétro-actions de leurs camarades pour une meilleure vie en société.

N’oublions pas que nous formons avant tout les citoyens de demain. Accepter les limites que l’on se pose est une étape essentielle vers la maturité. Notre génération a été bien gâtée. Et beaucoup d’adulte immatures ont encore du mal à accepter que pour pouvoir continuer à profiter de notre liberté de vivre sainement sur Terre, il aurait bien fallu que l’on sache se poser collectivement des limites. Au lieu de cela nous avons contribué à ce qu’une poignée d’irresponsables soit coupables de l’accaparement des richesses, de l’extinction en masse des espèces, de la pollution des sols, des océans et de l’air, de l’enfouissement de déchets radioactifs pour des millénaires, de l’épuisement des ressources, de catastrophes climatiques, sanitaires, de guerres et de famines planifiées … Espérons que la génération à venir saura un peu mieux poser ses limites, s’auto-réguler et faire société. Quoi qu’il en soit, les rétroactions, qu’on les accepte ou pas, on va se les prendre de face !


#23

Utiliser et valoriser les ressources et services renouvelables

Si l’on raisonne en terme de temps disponible par l’enseignant pour chaque élève, la pédagogie en activité libres autonomes est très frustrante. En effet, les présentations se font individuellement à chaque élève, en prenant bien le temps, il ne s’agit pas de bâcler une leçon en trois temps ! Ainsi divisé entre tous les élèves de sa classe, sur une journée, l’adulte aura tout au plus le temps de montrer quelques activités à certains élèves, pas à tous. Chacun met alors en place des palliatifs, des grilles de suivi à cocher sur la semaine, des listes d’élèves… On essaie d’oublier aucun enfant, même si certains se font plus discrets tandis que d’autres auraient tendance à monopoliser notre temps (et notre énergie !).

En pédagogie plus traditionnelle, le savoir est dispensé de façon plus frontale. L’enseignant a l’impression de consacrer pleinement son temps à tous les élèves. Il dirige sa classe, il a l’œil sur tous. Et chacun bénéficie de façon égale des leçons collectives. Mais en voulant tout contrôler, on oublie souvent l’essentiel : l’élève est le principal acteur de ses apprentissages. L’enseignement académique n’est pas toujours le mieux adapté en toute situation.

Les collègues qui sont passées d’un fonctionnement classique à des ateliers autonomes ont souvent eu cette impression en début d’année de se trouver dans une impasse. Comment au début consacrer assez de temps à chaque enfant pour lui présenter des activités qui vont lui permettre ensuite de travailler de façon autonome ?

C’est dans cette perspective que j’aborderai le concept de renouvelabilité en permaculture scolaire. Des situations d’apprentissage qui ne demande pas une constante implication en temps et en énergie de la part de l’enseignant. Ceci passe par une réflexion en amont, une organisation de sa classe, des outils conçus de telle façon que leur mise en place va guider naturellement les élèves vers le travail. C’est ce qu’il faut privilégier pour ne pas s’épuiser à courir derrière ses élèves, frustré de ne pouvoir se consacrer suffisamment à chacun.

Si je fais l’analogie en architecture en terme d’énergie renouvelable, une maison passive correctement conçue, isolée et bien orientée, va bénéficier du chauffage par le soleil en hiver tout en restant fraîche en été. Une maison classique va nécessiter de grosse dépenses de chauffage, et une climatisation en saison chaude.
Sous cet angle, une classe bien conçue est celle qui demande peu de dépense d’énergie de la part de l’enseignant pendant le temps scolaire. Alors qu’une classe plus classique nécessite un investissement constant pour garder les élèves en situations d’apprentissage. Son état de fatigue en fin de journée est un bon indicateur. Celui des élèves également. Si on arrive toujours épuisé en fin de journée, peut-être faut-il réfléchir à une organisation de classe plus soutenable.

Il est temps d’illustrer ces réflexions pas quelques exemples concrets, tirés d’expériences personnelles. Mais chacun a sans doute été confronté dans sa pratique professionnelle (ou à la maison) à ces moments où on semble s’épuiser tout en voulant faire au mieux. Merci de partager aussi vos expériences.


#24

Je commence par une anecdote toute personnelle, rien à voir avec la classe. Notre fille a eu du mal à dormir, à l’âge des cauchemars et des rituels du couchage qui s’allongent jusqu’à tard dans la soirée, menant souvent à des situations de crises où l’on s’épuise à essayer de rassurer, de raisonner, de sévir… chaque soir c’est l’angoisse !

La situation s’est améliorée d’un coup. Comment ? Juste en cédant sur une règle que l’on s’était imposé sans vraiment y réfléchir. Une évidence que l’on avait jamais vraiment questionnée. Un interdit implicite hérité de nos traditions familiales ou sociétale. Du jour où on a autorisé notre fille à se coucher où elle le souhaite, à nous rejoindre dans le lit familial quand elle en ressentait le besoin, tout s’est résolu. Elle est venue quelques fois se glisser entre nous dans la nuit, mais sans en abuser. Elle était rassurée. Et a vite repris ses habitudes dans sa chambre.

Parfois un blocage peut être résolu simplement. Et une évidence bousculée. On reproduit des schémas, il faut savoir les dépasser. En classe c’est pareil, on a tous des présupposés hérités des traditions scolaire qu’on nous a inculqué dans notre enfance. Il faut savoir les remettre en question pour faire évoluer notre enseignement dans la direction souhaitée : plus d’autonomie, l’émancipation des élèves, et ne pas s’épuiser dans des postures stériles …


#25

Je suis assez d’accord avec cette réflexion.
Ayant changé de fonctionnement cette année, j’ai pu avoir cette impression de ne pas donner assez de temps à chaque élève. Après beaucoup de stress, de culpabilité, j’ai décidé de lâcher prise, et j’ai pris le temps d’observer la classe. Ce que je ne m’autorisais pas à faire car je voyais cela comme du temps perdu pour les élèves qui n’avaient pas bénéficié d’une présentation ce jour ou le jour d’avant. Je finissais épuisée et pas totalement satisfaite.

En observant la classe, j’ai pu mieux analyser la situation :

  • certains élèves me monopolisaient, il fallait que je trouve une solution pour les rendre plus autonomes ou que je limite leur temps passé avec moi (ou avec mon ATSEM, car c’est ensuite vers elle qu’ils allaient).
  • certains élèves vivaient tranquillement leur vie et n’avaient pas besoin de moi, ils étaient parfaitement capable quand ils en ressentaient le besoin de venir me voir pour me demander telle ou telle présentation ou activité à faire avec moi.
  • certains élèves ne venaient pas me voir car ils n’osaient pas, ils avaient des besoins mais ils ne savaient pas les exprimer.
    Sans temps d’observation, je n’aurais pas pu réguler tout cela, consacrer plus de temps à ceux qui en avaient vraiment besoin, et l’expliquer aux autres.

De plus, je pense que c’est une illusion d’avoir l’impression de donner le même temps à tous dans un fonctionnement classique.
Avec mon nouveau fonctionnement, je connais bien mieux mes élèves, leurs envies, ce qu’ils préfèrent travailler, je m’autorise des moments plus informels car je n’ai pas 5 autres élèves qui attendent la consigne de l’atelier…

Après je suis toujours preneuse d’idées de fonctionnement pour améliorer mon organisation pour plus d’autonomie ! C’est sans fin, mais c’est tellement intéressant.


#26

Merci Manon pour ton témoignage.

Tu illustres ces réflexions sur l’énergie que l’on dépense en classe, tellement parfois que l’on peut s’épuiser. Et si on n’y prend garde, c’est une situation piège dans laquelle on peut tomber même si on cherche à justement à l’éviter dans un fonctionnement en activités libres autonomes.

Surtout la première année que l’on met en place cette organisation de classe. Certains collègues ont pu revenir pour ces raisons à un fonctionnement plus classique, à contrecœur. Ils se sont investis à fond, ils voulaient trop bien faire de suite. Ils ont consacré trop d’énergie à tous leurs élèves, en donnant le maximum. Et ils ont fini sur les rotules, à enchaîner les présentations, frustrés de ne pouvoir satisfaire à toutes les demandes des élèves. Au contraire, il faut bien prendre le temps de souffler, se poser et observer comme tu l’as fait Manon.

Dommage, car cette approche de la classe permet comme tu le dis de prendre du recul, des temps d’observation. On apprend à mieux connaître individuellement ses élèves. Et la préparation de sa classe est à terme grandement facilitée. Finis les petites cases de l’emploi du temps à remplir chaque soir pour le lendemain !


#27

Je te rejoins sur la préparation de classe, c’est en grande partie parce que je m’épuisais à préparer des journées qui ne me satisfaisaient pas du tout que j’ai changé mon fonctionnement en cours d’année.
Je n’avais pas prévu de me lancer si tôt, même si j’avais déjà les apports " théoriques ".

Je dirais que ce que j’ai le plus fait cette année c’est lâcher prise ! Je sais que cela peut paraitre un peu cliché, mais chaque crainte (on a beaucoup à prouver/se prouver quand on ne suit pas un fonctionnement traditionnel) était effacée quelques semaines plus tard en voyant l’évolution positive des enfants.


#28

Je donne un exemple pratique de fonctionnement de classe.

On peut passer du temps en début d’année à vouloir contrôler que les petits prennent bien des activités qui leur a été présentée. Sauf que leur envie est la plus forte. Si le matériel est accessible et attractif, on pourra bien instaurer la règle de ne pas y toucher sans demander, cela va vite nous épuiser. Et c’est frustrant pour les enfants.
J’ai essayé avec un système de gommettes, avec les photos des enfants, avec un carnet de suivi … rien n’a vraiment fonctionné.

Finalement, j’ai simplement accepté que les élèves prennent tout ce qui leur était accessible, sur les étagères du bas, bien en vu. Et les activités qui demandent une présentation sont rangées plus haut. Les petits doivent demander aux grands pour y accéder ; du coup les grands qui sortent le matériel pour un petit en sont responsables. Ils restent avec lui pour lui montrer et l’aider à ranger.

Je range le reste du matériel plus haut. Les enfants sont attirés par ce qu’ils voient. Ils vont donc me réclamer ce qui est dans leur champs de vision. Si je peux me rendre disponible, je serai alors avec eux pour la découverte d’une nouvelle activité en atelier avec les élèves volontaires. C’est ainsi que je dirige les nouvelles activités que je souhaite leur présenter ; je les mets bien en vue sur le devant, pour y penser ou qu’un enfant me sollicite.

J’ai des placard avec des portes coulissantes. C’est moi seul qui ai le droit de les ouvrir. Je contrôles ainsi le matériel que je rend accessible, par domaine. A certain moments de la journée, le placard d’arts plastiques est fermé ; les élèves se dirigent vers d’autres activités. C’est l’occasion pour certain de découvrir du matériel nouveau, tout en sachant qu’ils retrouveront leur travail préféré à un autre moment.

Parfois, en feuilletant les photos du cahier de vie, un enfant peut me demander de ressortir un matériel ancien qui lui a plu. Mais c’est plus généralement en voyant le matériel sur l’étagère que l’enfant va vouloir le réutiliser. J’ai fait du rangement en fin d’année pour déménager (on a une nouvelle école toute neuve). Et les élèves ont pris plaisir en la voyant à ressortir la pâte à modeler qu’ils n’avaient pas réclamé depuis des mois. Et à découvrir du matériel que je n’avais jamais sorti cette année.


#29

Toujours très intéressant ce parallèle.
J’ajouterais (en toute modestie car si j’ai bien la théorie, je manque encore de mise en pratique tout du moins en classe), la nécessité d’un enseignement plus horizontal.
Tu parles d’enfants très dépendants de l’adulte, soit en le sollicitant, soit en n’osant pas le faire justement. Mais la finalité n’est elle pas de faire de l’enfant le maître?

Si je fais le parallèle avec notre rôle de parents, je dirais que pour notre ainé, jusqu’à l’âge de la scolarisation ou presque, tout ce qu’il a pu apprendre lui est venu de nous, ses parents. Sa sœur elle a eu la chance d’avoir un maître à pleine plus âgé, et tout est allé très vite sans que nous ayons à tant donner (ce qui a la fois est facilitant et frustrant pour nous parents), quant au 3ème, nous avons eu l’impression de ne même pas avoir a nous préoccuper de ses progrès : il a grandi dans un environnement riche, bénéficiant de l’accompagnement et du modèle apporté par ses aînés, et tout s’est fait à vitesse grand V. Ses aînés ont pu eux, en jouant les maîtres et maîtresses progresser, avancer, maîtriser.

A condition de pouvoir mélanger les âges et garder les enfants d’une année sur l’autre.


#30

En effet Welna, c’est un des buts de la démarche. J’ai plusieurs hypothèses pour cela.
Cette année j’avais des MS/GS qui n’avaient connu que du traditionnel.
Les MS ont bien plus vote intégré ce nouveau mode d’apprentissage et ont été très autonomes assez rapidement. Pour les GS cela a été plus dur (formatés pendant 2 ans ? Déjà passé dans une autre période de “repos”/désintérêt dont parle Céline ?), certains ont tout de suite vu les avantages, ils avaient envie de lire, une fois lecteurs ils n’avaient plus besoin de moi, pareil dans d’autres domaines, ils savaient ce qu’ils voulaient faire, certains ont plus ou moins erré dans la classe prenant des ateliers bien trop simples pour eux (que j’ai fini par enlever, les voir faire les fuseaux tous les jours en regardant par la fenêtre…), d’autres encore venaient me voir toutes les 5 minutes pour avoir une validation, que je me forçais à ne pas donner.

Tout comme en permaculture, il faut du temps avant d’arriver à un équilibre du sol, des ravageurs, et cet équilibre est toujours fragile. En classe c’est la même chose je pense, pour faire le parallèle avec la permaculture scolaire.

Hélas, il faudrait que je sois dans des conditions adéquates pour pouvoir observer cela sur le long terme, or, je suis la seule dans mon école à avoir cette démarche. J’ai dû me bagarrer pour garder quelques uns de mes MS, j’aurais donc l’année prochaine 5 élèves qui connaissent le fonctionnement (et qui sont assez avancés) et 18 qui vont la découvrir. J’aurais des PS/GS, PS que j’espère garder ensuite, mais on verra.

Ton fonctionnement va bien m’aider pour l’année prochaine Florian, je vais essayer de le mettre en place rapidement.

Quand à l’enseignement horizontal dont tu parles, je l’ai mis en place cette année de manière explicite. Je rappelais souvent que certains camarades savaient et pouvaient aider. Cela a très bien fonctionné. Des MS experts aidaient des GS à qui cela ne posait pas de problème et inversement, et cela m’a dégagé beaucoup de temps. Et je compte bien dessus pour canaliser mes GS l’année prochaine en les invitant à accompagner les PS (pas à faire à leur place).


#31

J’abonde en ce sens avec un nouvel exemple pratique d’organisation de classe.

L’apprentissage entre enfants est une évidence dans une fratrie familiale. Au sein d’un clan traditionnel le passage est même intergénérationnel. Pas d’école dans les tribus des peuples autochtones !

Comment créer les conditions de la mise en place d’un tutorat entre pairs dans une classe ? Les conditions optimales ne sont pas réunies : des enfants du même age ou presque, des contraintes horaires, pas de partage d’intimité, une unité de lieu, une liberté sous tutelle, des objectifs purement scolaires… Laissez un groupe d’enfants sans contrainte, le jeu va très vite se mettre en place à partir de rien. Notre fille ne met pas longtemps à se faire des copains et des copines quand on arrive dans un camping ! Pas le temps d’avoir même monté la tente qu’elle ne veut déjà plus partir…

Ce n’est pas le cas en classe avec les contraintes scolaires que sont les programmes, les horaires, le cadre que l’on pose. Ou alors ça mène inévitablement vers du chahut ou des jeux “de récré”. Je me suis toujours posé la question de comment recréer plus de liens entre enfants dans la classe, tout en gardant l’objectif des apprentissages scolaires. Je n’ai pas trouvé la solution, que des palliatifs. Peut-être les conditions ne sont-elles pas réunies dans une classe ? Je cherche encore, voici quelques pistes que j’ai pu mettre en place.

Mon meuble de casier a une colonne de grands (MS), une colonne de petits (PS). A chaque ligne correspond donc un binôme grand-petit que j’ai eu imposé sur des journées de rentrée. Mais les couples ne tiennent pas longtemps, et de façon artificielle. A cette âge et période de l’année, ils sont tous petits en fait !

Certain matériel autorise une utilisation à deux, un de chaque côté de la boîte par exemple. Pour des grosses caisses comme les kaplas, je permets même une utilisation à quatre, un élève à chaque bord. L’idée est que le travail à plusieurs sur un même matériel facilite les échanges, les apprentissages. Dans les fait, je ne suis pas dupe, j’observe le plus souvent des échanges oraux non scolaires ou basiques, et du travail individuel côte à côte.

Dernière piste, plus prometteuse. Je colle les photos des élèves sur le matériel dont ils souhaitent être les référents. A savoir qu’ils en maîtrisent les consignes et savent les expliquer précisément. Je le vérifie en assistant à la présentation entre élèves, que je valide sur mes fiches de suivi (sujet “Accompagnement des élèves”) avec une cinquième étoile. Je prends donc le temps, je les aide, et la photo collée sur l’activité est en quelque sorte une reconnaissance, une consécration. Chacun, grand ou petit, peut être référent des activités qu’il adore. Un élève qui veut se faire expliquer cette activité peut solliciter l’aide du référent. Mon matériel de classe est donc plein de photos d’enfants, ainsi que les livres de bibliothèque. Mais les élèves ont fini par ne plus y prêter vraiment attention.

C’est pourquoi je vais faire évoluer la règle l’année prochaine : ces activités privilégiées seront rangées à part, sur une étagère plus en hauteur par exemple, et ne seront accessibles qu’en demandant l’aide du référent. Je gage que le fait de rendre l’accès à ces activités plus restreint ne les rendra que plus attractives. C’est d’ailleurs ainsi que certains élèves l’avaient compris naturellement dès cette année : il y a ma photo dessus, c’est à moi, tu dois me demander ! Je vais leur donner raison.

Je souhaite donc ainsi privilégier le travail en tutorat, accompagner les présentations entre élèves qui me permettent d’observer à la fois les compétences de l’élève tuteur et celle de l’élève novice. Et bien souvent je ne suis pas le seul observateur, il y plein de petits curieux. C’est un mode de travail exigeant mais très valorisant. Les enfants adorent qu’on les observe en pleine expertise. Et leur photo collée sur l’activité valorise et reconnaît aux yeux de tous leurs compétences.


#32

Ne produire aucun déchet

J’applique ce principe de permaculture dans ma classe en me posant souvent la question : est-ce bien utile ? Ce que je fais par habitude est-il vraiment un geste professionnel voulu, réfléchi ? Mes paroles sont-elles plus pertinentes que mon silence ? Ai-je vraiment besoin de m’activer, ou ne vaut-il pas mieux me poser à observer ? En quoi l’activité que je propose fait-elle avancer les élèves ?

En observant les élèves en activité, on peut se demander quel savoir ils sont en train de travailler. Est-ce vraiment ceux que l’on avait prévu ? Le matériel et les consignes sont elles le mieux adaptées à les faire progresser ? Comment l’activité est-elle réinvestie en autonomie ? Que se disent les élèves ? Réutilisent-ils vraiment le vocabulaire précis appris ?

L’inactivité dans cette perspective n’est pas considéré comme inutile, dans la mesure où c’est un choix de l’enfant (ou de l’adulte) de se poser en retrait, d’observer avant de faire. Les petits nouveaux restent parfois des semaines à ne rien faire ; mais ils observent et écoutent tout. Quand ils se sentent enfin rassurés, les progrès peuvent être fulgurants, mais pas avant.

Inversement, la suractivité est généralement signe de gabegie. Les enfants touche-à-tout n’apprennent souvent rien correctement. Et l’enseignant survolté n’est pas le plus efficace.

En se posant la question de l’utilité dans notre enseignement, on vise l’épure. On s’astreint surtout à en définir précisément les finalités.