Autorégulation et rétro-action
Je fais un rêve ! Imaginons une classe idéale, heureuse, conçue de telle façon que le savoir circule, que les élèves apprennent ensemble, s’appliquent à respecter chacun. Chacun aurait conscience de sa place dans la classe, il serait là pour apprendre et y prendre du plaisir, et aider les autres à faire de même.
Réveillons nous maintenant ! Et voyons comment tendre vers ce nirvana sans s’épuiser ni se leurrer.
La plupart des dysfonctionnements dans une classe peuvent s’expliquer par le fait que nous refusons l’autorégulation et la rétro-action. Une classe qui est vivante est dynamique ; elle est soumise au hasard des humeurs de chacun, à la météo, au astres ou que sais-je encore ! L’enseignant doit alors pouvoir réagir à sa classe de façon souple et mesurée. Il est généralement inadapté de s’en tenir de façon stricte à sa fiche de préparation détaillée. Des collègues s’épuisent en étant arc-bouté sur leur emploi du temps, car ils s’en tiennent vaille que vaille à ce qu’il avaient prévu.
L’objectif de préparation de classe devrait être de pouvoir justement d’adapter aux élèves, tout en gardant le cap pédagogique. Je ne pense pas qu’il faille tout accepter, mais on doit pouvoir trouver des chemins détournés pour tendre vers un même objectif. Ces chemins s’improvisent à condition d’avoir réfléchi à l’avance à l’organisation de sa classe qui permette cette souplesse. Et d’être clair sur ses objectifs en tant qu’enseignant.
Notre place dans la classe est d’être facilitateur des apprentissages de chacun, garant du respect de l’intégrité de tous et des bonnes conditions de travail, de donner l’impulsion dans la bonne direction quand il le faut mais aussi de savoir par moment s’effacer et laisser la place aux élèves pour s’émanciper et grandir, faire leur propres erreurs, communiquer entre eux.
Nous devons veiller pour cela à varier notre posture professionnelle. Nous sommes parfois référents, enseignant professant le savoir comme à l’ancien temps depuis le tableau mais aussi en sortie tel Aristote délivrant son savoir en déambulant (d’où l’origine du mot philosophie qui veut dire se déplacer en grec). Bien, mais nous pouvons être aussi de temps en temps simples observateurs, organisateurs, garants, scribes, passeurs, public … Et pourquoi pas, pour rigoler, parfois simple élève, clown, personnage d’histoire, marionnette. Mais aussi parfois faire semblant d’être absent, endormi (pour de faux car nous sommes avant tout garant de la sécurité des élèves).
En fait l’autorégulation est une constante remise en cause et réflexion sur ses pratiques. Ne pas se prendre la tête, mais s’adapter, être à l’écoute de sa classe bien sûr mais également se respecter en étant conscient de ses propres limites. La méditation, la conscience de son corps, un sommeil respecté, la détente, la curiosité, la vie de famille, les liens sociaux, la culture, la lecture. Tout cela nous aide à nous sentir bien et à transmettre cette bonne énergie à nos élèves.
La rétro-action vient de l’écoute de la classe, une attention individuelle aux élèves en tant que personne avec ses humeurs. Le fait d’avoir une grande souplesse et de laisser un large choix aux enfants dans leurs activités nous permet en revanche d’être très exigeant quant au respect.
La classe n’est pas comme à la maison, il y a toute une série de rituels qui permettent à chacun de travailler et d’apprendre en toute liberté. Chuchoter, parler par message clair. Ranger, choisir une activité à la fois, ne pas détourner son utilisation. Pas de chahut, ne pas déranger le travail des autres. Demander gentillement, accepter les refus. Prendre son temps, patienter. C’est en acceptant également l’autorégulation et les rétro-actions que les élèves d’eux-même vont se plier à ces règles quand ils perçoivent tout l’intérêt et la liberté qu’elles leur apportent au quotidien à l’école. Pas facile pour certains qui ont bien envie naturellement de chahuter en classe, ou sont centrés sur leur propre personne. C’est une gageure que de les faire grandir en ce sens en s’imposant d’eux même leurs propres limites pour pouvoir gagner de façon collective en liberté.
Cela exige de la part de l’enseignant une constance, une persévérance, un calme, de la bienveillance et beaucoup de souplesse. Ne pas transiger sur l’essentiel, mais accepter une grande liberté en retour sur tout le reste. Comprendre qu’un enfant peut être fatigué parfois, avoir envie de s’allonger, de bouger, d’aller courir. Certains aussi vont manquer de confiance et juste rester à observer sans essayer pendant plusieurs semaines, ne rien faire. D’autres vont se consacrer à fond à une seule activité.
Varier les approches et le matériel, renouveler pour aiguiser leur curiosité, surprendre les élèves pour changer un peu leurs habitude. Ces ruses permettent de guider sa classe vers les apprentissages attendus sans remettre en cause frontalement les libertés qu’on leur a accordé. L’objectif est que les enfants prennent plaisir à ce fonctionnement de classe. Ils accepteront d’autant mieux les règles que cela impose. Et développeront petit à petit par eux-même leur capacité à s’auto-réguler et accepter les rétro-actions de leurs camarades pour une meilleure vie en société.
N’oublions pas que nous formons avant tout les citoyens de demain. Accepter les limites que l’on se pose est une étape essentielle vers la maturité. Notre génération a été bien gâtée. Et beaucoup d’adulte immatures ont encore du mal à accepter que pour pouvoir continuer à profiter de notre liberté de vivre sainement sur Terre, il aurait bien fallu que l’on sache se poser collectivement des limites. Au lieu de cela nous avons contribué à ce qu’une poignée d’irresponsables soit coupables de l’accaparement des richesses, de l’extinction en masse des espèces, de la pollution des sols, des océans et de l’air, de l’enfouissement de déchets radioactifs pour des millénaires, de l’épuisement des ressources, de catastrophes climatiques, sanitaires, de guerres et de famines planifiées … Espérons que la génération à venir saura un peu mieux poser ses limites, s’auto-réguler et faire société. Quoi qu’il en soit, les rétroactions, qu’on les accepte ou pas, on va se les prendre de face !