Obtenir une production
C’est l’intitulé du troisième principe en permaculture, on vise l’abondance et le partage des surplus. En terme péda appliquée à la classe, on va le traduire par Comment mettre sa classe au travail ? Comment faire progresser tous les élèves ? Le savoir est sans fin et il n’y a aucune raison de se mettre de limite tant qu’un élève est motivé.
En fonctionnement classique en cohorte, l’enseignant dicte à son groupe d’élève ce qu’il doit apprendre. Il rame pour tirer vers le haut les élèves en difficulté, et limite les progrès des autres élèves aux compétences prévues. Alors que, si on leur lâche la bride, certains sont souvent motivés pour entrer à fond dans des apprentissages que l’on n’avait pas forcément prévu. Combien d’élèves de quatre ans nous surprennent en apprenant d’eux même à lire ! Et les élèves soit-disant en difficultés peuvent aussi nous étonner en se passionnant pour des domaines imprévus où ils se mettent à exceller.
Comme en jardinage, ça ne pousse pas toujours comme on l’avait prévu. Il faut savoir associer les plantes, semer au bon moment, être patient et intervenir au bon moment pour désherber, dé-épaissir, replanter en pleine terre … Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, et savoir saisir les opportunités. Savoir rester humble aussi, on ne contrôle pas tout.
L’attention doit être portée en particulier vers les élèves les plus discrets, ceux qui cherchent à se faire oublier. Comment faire progresser un élève qui ne rentre pas dans les apprentissages ? Qui refuse toutes les activités que l’on peut lui proposer. Observons le avant tout ! Comment occupe-t-il son temps ? Est-il en retrait fermé à tout ? Ou observe-t-il ce qui se passe ? Est-il concentré ou dispersé ? Semble-t-il intéressé ou blasé ? Souvent une approche non frontale est plus pertinente. Parfois juste s’asseoir à côté et attendre que l’élève fasse le premier pas.
Les élèves dispersés posent aussi problème, mais généralement on ne les oublie pas ! Ils perturbent la classe, provoquent des petits chahut, cherchent à capter l’attention, et ne sont pas du tout dans les apprentissages proposés en classe. Ceux là ne peuvent pas être livrés à eux-même tant qu’ils n’ont pas compris que le temps de classe est un temps sacré, un temple du savoir, un lieu codifié plein de contraintes mais également riche de nouvelles libertés. Je théâtralise, j’use de formules poncives, mais je fais de même en classe avec ces élèves. J’en rajoute ; plus ils se précipitent, plus je ralentis. Plus ils s’impatientent, plus je les fais mariner. C’est le petit groupe de terribles assis avec moi ; ils sont un peu punis et contraints, mais je fais comme s’ils avaient choisi de rester à travailler à côté de moi et je les en félicite.
L’ennui force l’inventivité. Tout comme la simplicité conduit vers la complexité. L’épure est propice à la diversité. La contrainte est source de créativité. Et les bouleversements bousculent les habitudes trop confortables. Je me force dans ma classe à changer les accès aux activités. J’ai généralement trop de choses, les enfants se dispersent trop. Ou ne sont pas assez curieux, ils ont trop de choix, ils se rassurent alors en allant uniquement vers les activités connues. C’est pourquoi je ferme temporairement l’accès à certains placard. Je fais tourner les activités proposées sur les étagères. Je range un matériel délaissé par les enfants pour plus tard le ressortir et susciter à nouveau l’intérêt. Je change la disposition des meubles. Je cache des surprises. J’essaie d’éveiller leur curiosité. Qu’ils se rassurent en classe avec des activités qu’ils maîtrisent. Mais qu’ils prennent goût également à découvrir chaque jour de nouvelles choses, et qu’ils s’y tiennent sans papillonner.
La rareté crée aussi le désir. Les enfants sont très grégaires et des modes traversent en fait la classe tout au long de l’année. A certains moment, un certain matériel va avoir un succès fou. Les élèves vont se chamailler pour y avoir accès. L’enseignant a alors deux possibilités pour rétablir l’équité entre les élèves pour l’accès à ce matériel si convoité :
- créer un tour de rôle, gérer l’accès, garantir que tous en profite de manière égale
- investir pour dupliquer ce matériel à succès, que chacun puisse avoir le sien
Alors, curieusement, la mode va passer, et toute l’énergie investie par l’enseignant pour gérer la situation de partage va devoir à nouveau se tourner vers une nouvelle activité convoitée.
C’est pourquoi j’ai renoncé à chercher à garantir un juste partage matériel entre les enfants. Un enfant qui s’approprie une activité la garde aussi longtemps qu’il souhaite s’y consacrer. En suscitant l’envie des autres, on suscite également leur curiosité. Et l’heureux élu aura à cœur de se consacrer à fond à cette activité si précieuse, dont il pourra devenir un référent en montrant aux autres comment s’y prendre. Un élève qui aura la chance d’avoir accès à une activité convoitée se retrouvera au centre d’un cercle d’attention. La star du jour s’appliquera à réaliser au mieux les consignes demandées sans chahuter, au risque de se voir demander de ranger et de perdre sa prérogative. Il a aussi la garantie que aucun autre élève n’a le droit de le déranger ou de toucher à son matériel, il prend donc son temps en toute confiance. Cette règle est généralement bien respectée et comprise, car les enfants la font respecter d’eux-même. Et un enfant qui dérangerait un autre se verrait refuser le droit d’assister au spectacle.
Enfin, je suis moi même parfois spectateur ou à l’initiative de cette activité convoitée. Je m’assois autour d’une table et j’ai sorti un nouvel atelier attrayant. Les premiers enfants à en bénéficier auront la chance de pouvoir avoir une place autour de la table avec moi, les autres devront se contenter de regarder et baver d’envie ! Mais on apprend aussi en regardant. Et les quelques privilégiés du moment s’appliquent à faire au mieux car ils se savent observés. Je n’ai pas de scrupules à ne pas garantir que tous les élèves aient réalisées exactement la même activité. Chacun sait qu’il est libre de faire d’autres choses, et qu’il aura d’autres occasions. J’en profite également pour canaliser quelques enfants perturbateurs à qui je ne donne pas le choix, mais qui vivent finalement cette contrainte d’être avec moi comme un privilège vis à vis des autres. Je cible également des enfants qui doivent travailler avec moi sur l’activité que j’ai choisie. J’ai donc autour de la table en atelier avec moi un mélange entre des élèves “punis”, des élèves “en difficulté”, et d’autres simplement “motivés”. Mais je leur prête à tous la même attention bienveillante.