Les motifs, ce sont les lignes directrices qui organisent notre travail. La nature avance rarement en ligne droite. On y observe des arborescences, des spirales, des courbes diverses qui font la richesse du monde qui nous entoure. En classe, procédons de même, par petites touches.
L’enseignement spiralaire invite à revenir régulièrement sur un même notion en élargissant progressivement la difficulté. Pourquoi priverait-on les jeunes enfants de découvrir des domaines sous prétexte que c’est réservé au programme des classes supérieures.
En numération par exemple, les collègues des grands nous regardent généralement de travers quand nous sortons le matériel des perles avec les maternelles. D’autant plus quand nous introduisons le vocabulaire des unités, dizaines, centaines, milliers. Perles unités dizaines centaines milliers.pdf Ce n’est pas au programme m’a-t-on reproché, les grands nombres ne seront vus qu’en cycle 3. L’apprentissage théorique, oui, mais l’aborder avec les petits par la manipulation est tellement naturel et motivant. Pourquoi s’en priver ? Les enfants adorent compter les petites perles une par une, mais ils comptent tout aussi bien les barrettes dix par dix ou les plaques cent par cent. Et comme l’objectif est de mettre en relation une quantité et une écriture chiffrée, en particulier l’itération pour passer d’un nombre au nombre suivant, autant le travailler en variant les approches. Tout en affinant leur motricité fine et leur concentration.
De même quand les collègues de CP nous voient travailler le codage des sons avec des élèves de moyenne section, certains font des bonds ! L’apprentissage de la lecture est l’apanage du cycle 2, c’est sacré. Certes, mais si un enfant de 4 ans plein de curiosité est assez motivé pour chercher à comprendre l’intérêt de l’écrit au point de vouloir découvrir la relation entre les sons et les groupes de lettres, pourquoi le lui refuser ? Ecrire avec les lettres découpées en bois.pdf Il ne s’agit que d’une première découverte qui ne fera qu’entretenir sa motivation et le poussera à entrer dans le monde des livres. On travaillera à cette occasion la phonologie et le langage dans toutes ses dimensions, ce qui est bien au programme de maternelle.
Osons ainsi élargir l’horizon des élèves de maternelle dans de nombreux domaines, quand bien même la maîtrise théorique leur sembleraient interdite. Les enfants sont friands de découvertes véritables. Par la manipulation, le jeu, les rencontres de professionnels, on peut tout à fait avec eux aborder des sujets complexes. N’ayons pas peur de nommer les choses avec des mots compliqués, les élèves en raffolent. Quitte à ce que ces même notions soient revues plus tard de façon plus approfondie, c’est le principe de la spirale.
Voici un autre exemple qui illustre bien l’apprentissage spiralaire. Les nombres premiers, une notion en numération qui sera vue et revue à tout age. Avec les petits, il s’agit juste d’essayer de placer un certain nombre de jetons de façon à former un tapis, en lignes et en colonnes. Parfois c’est possible, comme avec 10, on fait deux lignes de 5 (ou 5 lignes de 2). Il y a même des fois plusieurs possibilités, comme avec 12. Avec d’autres nombres, 3, 7, 11… , que l’on appelle les nombres premiers, ce n’est pas possible. On aborde cette notion avec le matériel montessori des 55 jetons rouges quand on range les jetons par deux de 1 à 10, certains nombres sont paires, d’autres non. Cette même notion sera revue quand les élèves travailleront les tables de multiplication en CE1-CE2, puis les divisions posées en CM. Enfin, le travail sur les nombres premiers fait encore l’objet de recherches universitaires en mathématiques.
Enfin, cette vision spiralaire s’applique pour la mémorisation. Il est recommandé pour que les élèves se souviennent d’un mot nouveau par exemple, de le rappeler plusieurs fois en situation. On le fait répéter aux enfants une première fois juste après le leur avoir appris. Puis on reprend ce terme nouveau en bilan en fin de séance, afin bien ancrer les apprentissages. Il faudra ensuite le réactiver plusieurs fois pour une bonne mémorisation, en fin de journée, dans la semaine, puis dans l’année. Ces rappels devraient dans l’idéal être notés et programmés par l’enseignant. De façon plus souple, j’ai pris l’habitude de faire un petit bilan systématique en fin de séance, puis verbaliser en fin de journée aux élèves ce qu’ils avaient aimé. Avant, je demandais ce qu’ils avaient appris, mais ce qu’ils ont aimé leur parle plus en maternelle. J’en profite alors pour faire raconter en utilisant les mots nouveaux appris. Une liste affichée en classe peut aider à en garder une trace écrite. Plus tard dans l’année, on reviendra dessus en feuilletant le cahier de vie. Il faut donc que ce mot soit dans les consignes et légendes des photos collées. On nous demande à l’école d’enrichir le vocabulaire des enfants de plusieurs mots nouveaux par jour. A nous de trouver un fonctionnement qui nous permette de nous y tenir quotidiennement.
J’ai travaillé cette année avec une intervenante nature sur le thème des insectes pollinisateurs, les abeilles. Avec les petits elle a une super approche active qui les implique. On a observé, touché, goûté, manipulé ; et on est beaucoup sorti. Elle n’a pas hésité à utiliser pour l’occasion des mots précis. Les enfants ont appris et adoré réutiliser des termes comme mandibules, pollen, alvéole … Et avec le support d’un album nous avons aussi abordé des notions plus complexes comme la pollution chimique (le superplantox dans l’histoire) qui décime la population des insectes (dans l’album, les abeilles deviennent zinzins). Ce sont des thèmes d’actualité, les néocortinoïdes autorisés sous la pression des lobbys agro-industriels pour traiter les betteraves à sucre sont une calamité, 80% des insectes ont d’or et déjà disparus, les sols deviennent stériles. Les enfants que nous avons en charge sont concernés, et le seront d’autant plus quand ils auront à faire face aux dégâts que nos générations avons provoqué. C’est de l’éducation citoyenne, sont-ils trop jeunes pour y réfléchir et avoir leur avis ? Je ne le pense pas. A nous enseignants de trouver comment aborder de telles notions sans parti pris et à leur niveau. En manipulant, en abordant par tous les sens, en vivant des expériences, des rencontres.