Bonjour,
Tout d’abord, recevez toute ma reconnaissance pour votre engagement, que l’on sent passionné, auprès de nos enfants. Bravo, et merci Si je puis me permettre, je tiens à soulever un point que je trouve très important et qui, je l’espère, vous permettra d’éviter des écueils regrettables dès votre début de carrière.
Pour moi, c’est une évidence: je veux mettre en place du Montessori (…) En tant que PES, est-ce “risqué” pour ma titularisation?
Vouloir mettre en place une pédagogie figée ou une autre n’est pas seulement risqué pour votre année de PES (qui plus est en mi-temps), cela l’est également après 10 ans de carrière, et même sur un temps plein. Et qu’on se le dise, cela n’est pas seulement risqué pour vous et votre carrière, cela est également risqué pour la réussite et le bien-être des enfants. Appliquer une pédagogie stricte et figée n’est sans doute pas ce que vous aviez en tête en écrivant votre phrase, vous faisiez très certainement référence à une démarche “type Montessori”, favorisant l’autonomie de l’enfant, mais dans le doute, permettez-moi, pour tous ceux qui nous lisent, de donner mon point de vue sur la volonté entêtée, que j’ai parfois observée sur le terrain, d’appliquer “la pédagogie d’un tel ou d’une telle”.
Lorsque l’on cherche à appliquer une pédagogie nominative stricte, peu importe le nom qu’elle porte, nous nous retrouvons rapidement enfermés, adultes et enfants, dans un carcan inconfortable et rigide. Nous n’imposons pas seulement ce carcan aux enseignants de l’école et à l’IEN, nous l’imposons surtout à nous-mêmes et aux enfants. Nous essayons de faire en sorte que des préceptes pédagogiques que l’on nous a inculqués - et qui ne sont pas forcément justes pour l’adulte et l’enfant -, fonctionnent. Adultes et enfants peuvent alors se sentir très mal à l’aise dans de tels environnements où la véritable recherche pédagogique, qui ne cherche pas à formater l’enfant aux préceptes mais les adapte constamment en fonction des retours d’expérience avec les enfants, laisse place au dogme et à la religiosité. C’est dans de telles situations que nous pouvons entendre des enseignants ou des éducateurs affirmer qu’il y aurait des enfants encombrants, non “adaptés à la méthode” ou à la pédagogie en question.
Je trouve formidable que nombre d’IEN et d’enseignants froncent les sourcils lorsqu’un jeune collègue se lance à corps perdu dans une méthode propice à ce type de dérives, hautement délétères pour la réussite et le bien-être des enfants, pour leur relation avec leur enseignant, et défavorables au bien-être et à l’efficacité de l’enseignant lui-même.
Cela vaut, je pense, pour toute “méthode” untel ou unetelle. Concernant plus précisément ce que vous appelez la “pédagogie Montessori”, je tiens à vous mettre en garde. Il y a les travaux du Dr Montessori à partir desquels j’ai travaillé pour mener l’expérience de Gennevilliers, et il y a ce que j’appelle la pédagogie ISMM. L’ISMM est l’Institut officiel de formation à la “pédagogie Montessori”. Cette institution s’est beaucoup éloignée de la vision scientifique, ouverte, flexible et évolutive des travaux du Dr Montessori, et promeut aujourd’hui des environnements et une méthode non étayés scientifiquement, figés et non-évolutifs, avec parfois d’énormes incohérences sur le plan scientifique et développemental. Combien d’éducateurs “Montessori” sortant de ces formations ai-je vus mal à l’aise et en difficulté dans ces environnements trop rigides, où l’adulte et l’enfant doivent se plier à des principes, qui, je le répète, sont parfois infondés scientifiquement bien qu’ils soient souvent placardés au mur ?
Vous qui démarrez un engagement auprès de nos enfants, j’attire donc votre vigilance sur ce point. Étudions et considérons les héritages précieux des générations précédentes, montons sur les épaules de ces grands Hommes pour mieux regarder et redécouvrir l’enfant, mais prenons garde à conserver - toujours - une posture ouverte, flexible, de recherche et d’écoute.
Et pour finir, permettez-moi aussi de réagir à cette phrase
Je ne sais pas non plus si mes albums Montessori pourront faire office de fiches de préparation.
J’espère que les enfants sauront également vous aider à remettre en cause vos albums “Montessori”. Vous verrez que les activités qu’ils proposent sont pour la plupart formidables, mais seulement si vous prenez soin de vous les approprier, de les adapter aux enfants, de les faire vivre dans un environnement humain porteur, et de les compléter par de nombreuses autres activités plus traditionnelles que les enfants adorent - Kaplas, jeux de constructions divers, jeux de société, lotos, etc. - qui ne sont pas présentes dans vos albums et qui feraient sans doute bondir vos formateurs Montessori.
J’en profite pour rappeler à ceux qui nous lisent, que l’expérience de Gennevilliers a utilisé les travaux du Dr Montessori comme point de départ - en les étayant de la recherche actuelle - et non comme point d’arrivée. Nous poursuivrons en ce sens à l’avenir en développant l’amplitude du mélange des âges au sein du même espace, le lien avec la nature, et en développant la proposition d’activités. L’expérience de Gennevilliers ne représente donc que les prémisses d’une longue recherche visant à créer des environnements éducatifs “physiologiques”, c’est à dire pleinement adaptés au fonctionnement et aux besoins de l’être humain en plein développement. Que vous soyez parents, enseignants, ou éducateurs de jeunes enfants, nous vous invitons donc à ne pas enfermer votre réflexion dans la stricte “méthode Montessori”.
Je vous souhaite à tous un merveilleux été