L’objectif d’une classe en pédagogie active est d’encourager la diversité, les prises d’initiatives, les choix assumés de chacun des élèves. Former un citoyen est avant tout habituer les enfants à ne pas se laisser dicter leur conduite, prendre confiance en eux, et leur donner les outils pour éclairer leurs choix, en parler, le valoriser. Vivre en collectivité c’est avant tout respecter les autres dans leur travail et leur personne, et apprendre à communiquer de façon positive, sans juger.
Ce libre choix responsable est la principale différence avec la gestion de classe en cohorte, dont l’objet est de faire avancer tous les élèves à la même vitesse et dans la même direction, en programmant les compétences, les leçons, les exercices. En tachant dans le meilleur des cas de ne laisser aucun élève “en difficulté” de côté. Idéalement, les programmes nous invitent à différencier les apprentissages selon les élèves. Mais cette injonction reste somme toute théorique dans un fonctionnement de classe classique, malgré toute la bonne volonté des enseignants.
Pourtant, pour peu qu’on leur en laisse la possibilité, la personnalité de chaque élève s’affirme très tôt. J’observe très vite différents types de comportements dans la classe. Et ce avec les tout petits dès leur arrivée, une fois passé les petits pleurs, les quelques jours, d’observations, de mise en confiance, de prise de marques.
Beaucoup d’élèves recherchent clairement le lien social quand ils viennent à l’école. Ils vont de suite au contact des autres élèves. Ils sont suiveurs ou meneurs dans les activités. Ils cherchent le contact, parlent parfois forts et trop. Ils zappent les activités au gré des modes et nouveautés. Ils s’agglutinent et suivent le troupeau, grégaires.
Difficile d’aller contre, c’est un besoin fondamental. D’autant plus que certains enfants ont peu d’autres occasions d’interactions sociales avec d’autres enfants à la maison ; les fratries sont peu nombreuses, les familles réduites ou éloignées, les voisinages cloisonnés. Bref, trop d’enfants sont coincés chez eux, seuls, souvent devant des écrans. Au lieu d’avoir la chance de passer la journée à jouer avec ses frères et sœurs, ses cousins et cousines, ses amies. Les rues et places de villages (et encore pire en villes) sont bien vides ; on ne voit plus de bandes de gamins livrés à eux-même. La “guerre des boutons” n’est plus d’époque.
Comment valoriser cette tendance afin que ces élèves trouvent leur place dans la classe et s’émancipent ? Encourager les échanges c’est d’abord en maternelle favoriser le langage oral, qui n’est pas évident car la plupart des situations se gèrent spontanément sans parler.
Naturellement, un enfant qui refuse va taper, pleurer, ou fuir. Sans avoir besoin de parler, il va se faire comprendre. Apprendre à dire NON est un grand pas. Les conditions doivent êtres réunies pour que l’enfant sache que son refus sera entendu et respecté. C’est notre rôle d’éducateur que de créer artificiellement ces conditions par des règles de classe claire qui favorisent la prise de parole et son respect. J’ai mis en place en classe des messages clairs codifiés. On pose la main sur l’épaule avant de s’adresser à quelqu’un, enfant comme adulte. Puis on lui exprime clairement sa demande, sa remarque, qu’il doit écouter et respecter, mais qu’il a le droit de refuser. C’est la procédure par exemple pour demander à partager un matériel qu’un autre enfant a sorti. Les enfants suiveurs vont ainsi être encouragés à communiquer par la parole pour demander, s’ils ne veulent pas rester juste à regarder. Et les enfants meneurs vont devoir répondre aux sollicitations. C’est un travail de longue haleine, et complètement imposé par l’enseignant, en commençant par donner soi-même l’exemple.
Mais certains enfants prennent goût à cette règle qui leur donne le pouvoir de décider sans se faire envahir ni voler leur matériel pas toute une horde d’enfant curieux et envieux de l’activité qu’ils viennent de sortir. C’est le cas en particulier d’une deuxième catégorie d’enfants, indépendants, qui aiment être tranquilles et ont tendance eux à fuir le groupe. Là aussi, le sentiment de possession d’un matériel est fondamental. Et ces enfants se sentent en insécurité si une autre règle n’est pas mise en place par l’enseignant, de façon encore une fois très artificielle.
Pour les rassurer, il faut très vite instaurer en classe le fait qu’un matériel sorti par un élève lui appartient aussi longtemps qu’il le souhaite, jusqu’à ce qu’il le range. Si un autre élève souhaite le partager un temps, il devra demander la permission. Mais l’élève qui l’a sorti en reste responsable du matériel, il lui incombe de le ranger correctement à sa place, comme il l’a trouvé. Avec de l’aide s’il faut. Beaucoup de puzzles, jeux d’assemblages, casse-têtes, ont un intérêt principalement dans leur rangement. C’est pourquoi cette règle est importante pour les apprentissages. Sans parler du confort de travail dans une classe que les enfants apprennent à ranger d’eux même. Mais c’est avant tout une sécurité pour ces quelques enfants qui cherchent la tranquillité, la solitude. On ne les dérangera pas dans leur travail. J’essaie moi aussi de respecter cette règle, en demandant à un élève la permission pour toucher le matériel le temps de lui présenter les consignes. Au risque d’essuyer parfois des refus, que je respecte si le matériel n’est pas détourné. Sinon je le dis clairement, en prenant le temps de poser la main sur l’épaule !
Voilà pour conclure, diverses catégories d’élèves dans la classe, les élèves meneurs, suiveurs, et les enfants solitaires. Je respecte les besoins fondamentaux de chacun, besoin de lien social, besoin de sécurité. Et je mets en place des règles et des situations scolaires, artificielle certes, mais qui encourage chacun à développer sa spécificité dans le respect des autres. Les élèves qui souhaitent s’isoler ont la garantie qu’on ne les dérangera pas. Les élèves suiveurs savent qu’on ne peut pas les empêcher de regarder et qu’ils peuvent participer en demandant. Les élèves meneurs savent qu’ils ont le droit à l’initiative, mais qu’il faudra ranger, et respecter les consignes sans détourner le matériel. Chacun apprend à sa façon : en montrant aux autres, en regardant, en s’entraînant seul. Et cela évolue selon l’age, le moment de la journée, le type d’activité, les envies de chacun, les réussites et les encouragements.